Une féministe parmi les livres

Amie de Ralph Waldo Emerson, première femme à obtenir une carte de la bibliothèque de Harvard, l’Américaine Margaret Fuller signa, en 1845, l’un des premiers manifestes en faveur de l’émancipation féminine.

Texte fondateur du féminisme américain, le livre de Margaret Fuller est pour la première fois disponible en français. Ce plaidoyer éloquent pour l’éducation et l’émancipation des femmes, riche de multiples références littéraires, touche le lecteur moderne par ses accents prophétiques mais aussi par l’étonnante personnalité de son auteur. Lors de sa parution, en 1845, Fuller est déjà une étoile montante dans les milieux intellectuels de la côte Est. À 35 ans, elle tient une chronique littéraire dans le prestigieux New York Tribune. Quelques années auparavant, elle a assuré, seule, l’édition de The Dial, revue qu’elle a lancée avec le poète et essayiste Ralph Waldo Emerson. Avec ce dernier, elle est aussi une figure de proue du transcendantalisme, un mouvement philosophique utopiste qui prône l’élévation spirituelle du genre humain.

Son engagement pour l’amélioration de la condition féminine est ancien. En témoignent les « conversations » qu’elle organisait et animait pour les demoiselles de la bonne société de Boston. Ces causeries érudites, censées parfaire l’éducation de ses auditrices, « étaient pour elle l’équivalent, à échelle réduite et dans la sphère domestique, de la tribune dont jouissait Emerson dans ses conférences », notait Elizabeth Hardwick dans la New York Review of Books. À une époque où la plupart des femmes n’avaient pas accès aux études supérieures, Fuller avait bénéficié d’une éducation très poussée sous la férule d’un père qui voulait faire d’elle « l’héritière de tout ce qu’il savait ». Son enfance et son adolescence se passent en lectures forcenées, leçons de piano, apprentissage rigoureux des langues vivantes et anciennes. À 15 ans, elle est la première femme à obtenir une carte de lecteur à la bibliothèque de l’université de Harvard.

De cette jeunesse vouée à l’étude, elle tire un net sentiment de supériorité et un caractère péremptoire qui heurte ses contemporains, à commencer par son ami Emerson. Dans Des femmes en Amérique, elle fait la part belle aux « femmes fortes et dignes de la littérature et de l’histoire », mais ignore soigneusement la Britannique Mary Wollstonecraft, auteur en 1792 d’une Défense des droits de la femme, rédigée il est vrai dans un style beaucoup plus terre à terre.

Dans les années qui suivent la publication de son essai, Fuller se rend en Europe. En Italie, elle assiste, passionnée, aux combats pour l’unité nationale, et rencontre son compagnon, Giovani Angelo Ossoli. Sa mort tragique, deux ans plus tard, dans un naufrage au large de Fire Island, à New York, a sans doute contribué à la gloire posthume de son livre, dont Hardwick louait le ton « intense, persuasif, noble, à la fois combatif et soucieux de ne pas verser dans l’offense ».
 

LE LIVRE
LE LIVRE

Des femmes en Amérique de Une féministe parmi les livres, Éditions Rue d’Ulm

ARTICLE ISSU DU N°21

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