Suicides en Patagonie
Publié dans le magazine Books n° 118, mars-avril. Par Pauline Toulet.
Une bourgade de 8 000 âmes, balayée par des vents à 100 km/h toute l’année et mise sous cloche l’hiver, lorsque les températures dégringolent jusqu’à – 15 °C. Bienvenue à Las Heras, dans la province de Santa Cruz, à l’extrême sud de l’Argentine. Ici, il n’y a ni cinéma, ni kiosque à journaux, ni Internet, mais des bistrots sordides, des cabarets, des bordels. Et des églises – évangéliques, Témoins de Jéhovah – qui se disputent les âmes égarées. C’est dans ce décor inhospitalier que la journaliste argentine Leila Guerriero s’est rendue en 2002 pour enquêter sur une mystérieuse épidémie. Une épidémie de suicides. Entre mars 1997 et décembre 1999, les jeunes du village se sont tués à un rythme effrayant, presque un tous les mois. Ils avaient 17 ou 18 ans, rarement plus de 25, et on les retrouvait pendus à une cage de foot, à la poutre d’une grange, à un lit-mezzanine. À chaque fois, leur geste avait suscité la stupeur générale : « On ne comprend pas », murmurait-on d’une seule voix. C’est précisément pour tenter de...