Précarité
Publié le 22 février 2016. Par La rédaction de Books.
Le sort de l’assurance-chômage est entre les mains des syndicats et du patronat, qui ont ouvert de nouvelles négociations ce lundi. A l’arrière-plan de ce rendez-vous, la crainte (ou pas) d’une « précarisation » de la société. « Précarité » : depuis la fin des années 1970, ce mot auquel on préférait jusque-là celui d’ « exclusion » est devenu banal pour décrire la situation des chômeurs ou de ceux qui occupent des emplois atypiques.
A première vue, cet engouement paraît étrange, rappelle le sociologue Henri Eckert, auteur de Le Travail à l’épreuve du salariat : « L’expression “emploi précaire” s’avère au mieux paradoxale », écrit-il, s’agissant des contrats à durée déterminée ou des missions d’intérim, puisque le terme et les conditions en sont précisément fixés, et que ces contrats ne peuvent être rompus. Voilà qui contredit l’acception courante que donne de l’adjectif « précaire » le Trésor de la langue française : « dont on ne peut garantir la durée, la solidité, la stabilité ; qui, à chaque instant, peut être remise en cause. »
Mais tout s’éclaire quand on sait que le mot « précarité » a aussi hérité d’un sens plus ancien. Etymologiquement, il vient du latin juridique precarius, désignant ce qui était « obtenu par prière », supplique généralement adressée à celui dont on dépend, suzerain ou maître. « À l’idée de révocabilité – ce qui a été concédé sur prière peut être repris à tout moment – s’ajoute donc l’idée de dépendance, conclut Eckert : la précarité implique un rapport social inégal, dans lequel le bénéficiaire d’une faveur se soumet à celui qui la lui accorde ».
N’est-ce pas précisément cette angoisse de la dépendance que reflète l’usage du mot « précarité », quand il renvoie à la situation globale d’une personne qui navigue entre chômage et emplois atypiques, sans revenu régulier, ni avenir assuré ?
On comprend dès lors pourquoi le sens extensif qu’a pris le mot en France est spécifique, propre à une société qui a totalement lié la sécurité au travail. Ailleurs, soit qu’il n’existe pas véritablement d’emplois « typiques » et « atypiques » (Royaume-Uni), soit que la protection sociale assure une continuité des revenus, que l’on travaille ou pas (Danemark), le mot n’a pas connu cette vogue.