Paroles de pêcheur

« Je ne l’appelais que très rarement “papa”. Le mot me restait coincé en travers de la gorge, comme une arête ; et lui-même ne m’appelait jamais par mon prénom. Il voulait un fils. Dès ma naissance, il m’avait surnommée “Esprit de malheur”. Notre relation n’était pas plus compliquée que cela. »

L’endroit où nous vivions étant une région lacustre, les gens allaient pêcher pour améliorer l’ordinaire. Chaque fois que mon père partait avec son filet, je devais lui emboîter le pas en portant un immense panier de bambou. Ce n’est pas que j’en avais tellement envie, mais il fallait bien que j’obéisse. J’avais six ans, et terriblement peur de mon père ; le seul bruit qu’il faisait en craquant une allumette pour fumer une cigarette suffisait à me terroriser. Le panier de bambou était plus grand que moi. Au début, il paraissait très léger, mais devenait vite une lourde charge que je portais comme je pouvais, par les anses, sur le dos, à l’épaule, tout en m’efforçant de marcher au même pas que mon père. Il ne me parlait jamais, ne me disait pas où il avait l’intention d’aller ; en fait, il ne le savait pas lui-même. Il partait au petit bonheur, ne se décidant qu’après avoir hésité un moment en chemin, et être éventuellement revenu sur ses pas parce qu’il avait aperçu...

ARTICLE ISSU DU N°49

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