Publié dans le magazine Books n° 30, mars 2012. Par Mikkel Borch-Jacobsen.
Comment expliquer que le Docteur Folamour de la psychanalyse, maître ès hermétisme, reste la coqueluche des éditeurs et des médias de l’Hexagone ? Par une certaine propension du monde intellectuel français à s’enticher de faux-semblants.
Que reste-t-il de Lacan, trente ans après sa mort ? Cette question à laquelle
Books me demande de répondre, je l’entends d’abord comme une chanson : « Que reste-t-il de nos amours ? […] / Bonheur fané, cheveux au vent / Baisers volés, rêves mouvants / Que reste-t-il de tout cela / Dites-le-moi. » Je n’ai jamais aimé Lacan (il n’était guère aimable), mais, jeune philosophe, je faisais partie de ceux qui se pressaient à son séminaire à la faculté de droit, près du Panthéon. Mai 68 n’était pas loin, le structuralisme battait son plein, les femmes étaient jolies. Lacan, vêtu de façon invraisemblable, prononçait en soupirant des oracles obscurs que captaient d’innombrables micros. Rentré chez soi, on déchiffrait les dactylographies pirates de ses cours (c’était avant que son gendre Jacques-Alain Miller ne commence à « établir » ceux-ci (1)). On se retrouvait dans des séminaires appelés « cartels » pour commenter tel verset des
Écrits, après quoi on allait prendre un verre en se racontant les excentricités et les maîtresses de Lacan. Certains s’allongeaient sur son divan. D’autres, comme moi-même, se contentaient d’acheter les mêmes cigares...