Le sentiment de perte de la modernité tardive
Publié en novembre 2024. Par Books.
Le progrès n’est jamais total, il implique toujours des régressions ou des pertes. À chaque percée technologique, par exemple, des métiers disparaissent, qui n’ont plus lieu d’être. Autre exemple, plus général : l’industrialisation qui a permis une élévation extraordinaire du niveau de vie. Elle a aussi entraîné une dégradation de certains écosystèmes. Est-ce un bien ? Est-ce un mal ? Ce qui est certain, d’après le sociologue allemand vedette Andreas Reckwitz, c’est que l’Occident s’est distingué par son talent pour « minimiser, refouler, banaliser le prix du progrès », ainsi que le rapporte Stefan Reinecke dans le Tageszeitung. En somme, l’approche occidentale du progrès s’est longtemps résumée à l’expression triviale : « On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs. »
Reckwitz a acquis une belle notoriété outre-Rhin en 2017 avec un ouvrage tournant autour du concept de « singularité ». Il voyait dans la distinction individualiste l’un des traits saillants de notre modernité. Son « sens aigu de l’humeur du temps », écrit Reinecke, se retrouve dans le choix du concept auquel il consacre son nouvel ouvrage : la « perte ». « Face au Covid et aux guerres, au changement climatique et au déclin de l’Occident, la perte est un mot à la mode choisi avec pertinence », écrit-il. Car, au cours de ce que Reckwitz appelle la « modernité tardive », le sentiment de perte a connu une croissance exponentielle tandis que les stratégies et traitements pour y remédier ont explosé.
Le livre, remarque Reinecke, n’est pas toujours d’un accès facile et requiert un « lectorat patient et très concentré ». Il n’en demeure pas moins « une tentative intelligente, stimulante, ample, parfois assez rigide, de décrire en profondeur notre présent en Occident ».