Publié dans le magazine Books n° 54, mai 2014. Par Adam Gopnik.
Le jazzman et les garçons de Liverpool pillaient sans vergogne. Une bonne part de leur talent a consisté à s’approprier les inventions des autres. Les airs les plus célèbres du Duke ne sont pas de lui. Les Beatles, qui n’avaient aucune formation musicale, empruntaient et imitaient à tout-va. Nul pourtant ne contestera leur génie. De quoi était-il fait ?
Dans
A Thread of Years, son recueil de petites vignettes sur la vie quotidienne au long du XXe siècle, l’historien John Lukacs imagine quelques amateurs de jazz en train d’écouter un pianiste de bar à New York en 1929 (1). Puis il explique comment cette musique – ce swing mélodieux aux confins splendides et brumeux du jazz et de la chanson populaire – définissait un état d’esprit d’avant la Seconde Guerre mondiale. Tous ceux qui « étaient capables d’apprécier ce genre de musique américaine, affirme catégoriquement Lukacs, haïssaient les nazis ». Voilà une plaisante réplique au réquisitoire d’Adorno, qui accusait mordicus le jazz, sa « monotonie » et ses séductions rythmiques d’avoir des affinités avec le fascisme. Et cela soulève une question. Qu’avait donc cette musique dansante, écoutée par courts morceaux sur des 78 tours grésillants, pour que ses adeptes vouent un culte à tout un éventail de valeurs humanistes ?
La question irrigue la nouvelle biographie fouillée que Terry Teachout consacre à Duke Ellington, en s’intéressant autant au mystère de sa musique qu’à ses notes et à ses mesures. Cet imprésario pour orchestres de...