Publié dans le magazine Books n° 47, octobre 2013. Par Sergueï Nossov.
« En réalité, j’avais deux passions : Tamara et Eltsine. Deux passions déraisonnables : mon amour pour l’une et ma haine pour l’autre. Je n’étais pas le seul à vouloir tuer Eltsine, loin de là. Et beaucoup agissaient, mais seulement en pensée. Vu sous cet angle, nous étions tous des meurtriers. »
On m’a recommandé d’oublier cet endroit, de ne plus y remettre les pieds.
Pourtant j’y suis quand même retourné.
Beaucoup de choses ont changé et me sont devenues étrangères, mais la transformation aurait pu être bien plus radicale – planétaire même ! – si j’avais enfoncé la porte de la salle de bains, ce jour-là…
Ne me dites pas que je vais encore devoir expliquer pourquoi je voulais tuer Eltsine.
Ça suffit. Je l’ai déjà fait et refait.
C’est la première fois que je reviens avenue de Moscou depuis ma libération.
Je suis descendu à la station Institut technologique, et puis mes pas m’ont dirigé tout naturellement dans le quartier. On peut aller partout à pied. Jusqu’à la Fontanka (c’est une rivière), ça prend six minutes, en marchant lentement. Pont Oboukhov. Avec Tamara, on n’habitait pas dans l’immeuble qui fait l’angle, mais dans celui d’à côté, au numéro 18 de l’avenue de Moscou. Tiens, il y a un restaurant là, maintenant ! La Tanière. Autrefois, ça n’était pas une tanière, c’était le magasin d’alimentation où Tamara travaillait comme vendeuse. Je...