Publié dans le magazine Books n° 37, novembre 2012. Par Adam Soboczynski.
Malgré les apparences, Cinquante nuances de Grey, roman sadomaso que la terre entière s’arrache, est un ouvrage diablement puritain.
Tous ceux qui, pendant leurs études, passent une année d’échange aux États-Unis font (parfois à leur détriment) l’expérience de la socialisation entre jeunes gens si particulière à ce pays. Le rigoureux rituel du « dating », qui à nos yeux d’Européens introduit une inutile rigidité dans le jeu amoureux (« Never kiss on the first date »), côtoie étrangement les débordements observés dans les foyers étudiants, où le sexe le plus débridé et la consommation de drogues sont monnaie courante. Aux États-Unis, la morale publique va de pair avec l’industrie du porno, la bigoterie du Middle West avec la prostitution dans le Nevada, et Bureau ovale rime avec bureau oral… Tout cela n’est en rien contradictoire et il serait trompeur de voir là une forme banale de schizophrénie morale. C’est bien plutôt le résultat d’une logique puritaine depuis longtemps éprouvée : celui qui entend réprimer les pulsions sait pertinemment qu’il augmente la probabilité de les voir se déchaîner de façon incontrôlable. Le gardien de la vertu est toujours aussi pornographe, le policier des mœurs est obligé de produire les images qu’...