La machine à reproduire les élites indiennes
Publié dans le magazine Books n° 112, novembre 2020. Par Namit Arora.
En Inde, l’ingénierie était traditionnellement du ressort des artisans des basses castes. En l’espace d’un siècle, ces métiers ont été préemptés par des membres des hautes castes allergiques au travail manuel mais convaincus de ne devoir leur réussite qu’à leur mérite.
Dans la bibliothèque de l’Institut indien de technologie (IIT) de New Delhi, en 2009. Les étudiants considèrent leur école « comme un îlot d’excellence dans un océan de médiocrité ».
Dans l’Inde médiévale, les grands ingénieurs étaient pour la plupart des shudras. Les membres de la plus basse des quatre grandes castes ont fourni un apport régulier d’architectes, de maçons, de tailleurs de pierre, de sculpteurs de bronze et d’orfèvres. Réunis au sein de guildes héréditaires, ils étaient formés à la conception des structures, aux mathématiques, à la science des matériaux et aux conventions artistiques de leur époque. À la demande de souverains, de commerçants et de brahmanes qui méprisaient le travail manuel, et avec l’aide d’« intouchables » exclus de la hiérarchie des castes, ils ont bâti tous les joyaux architecturaux de l’Inde.
Les shudras ont continué à dominer les métiers d’art jusque dans la période coloniale britannique. Mais, à la fin du xxe siècle, la situation était tout autre. En 1985, à l’Institut indien de technologie (IIT) de Kharagpur – l’une des cinq grandes écoles d’ingénieurs fondées entre 1951 et 1961 –, où j’ai fait mes études, les brahmanes étaient, de loin, la...