Humanitaire

Damas accuse Médecins Sans Frontières d’agir pour le compte du Renseignement français. Les humanitaires font régulièrement figure de suspects. Il est vrai que l’idéal internationaliste inscrit dans l’ADN du mot « humanitaire » dès sa naissance, sous la plume de Lamartine, lui a valu immédiatement l’hostilité, comme le rappelle Maurice Tournier dans « Humanitaire est-il apolitique de naissance ? ». Dès 1843, le journaliste Louis Reybaud ne cache pas sa méfiance dans Études sur les réformateurs ou socialistes modernes : « On chercherait vainement dans le mot d’“humanitaires” quelque chose de consistant et de solide. Il y a des hommes, puisqu’il leur plaît de s’appeler ainsi ; mais il n’y a point de système, point de doctrines humanitaires ».

De fait, le terme renvoie à des systèmes de pensée très disparates. Et pour cause ! « Il existe deux mots humanité, forgés à deux époques différentes, précise Maurice Tournier. Celui du XII^e siècle hérite du latin sa signification première de “nature humaine”, d’où se distinguent les qualités de sensibilité, bienveillance, pitié […]. Celui du XV^e siècle désigne la totalité concrète des hommes habitant la planète. » La première veine inspire le philosophe Pierre Leroux, auteur, selon Reybaud, du « seul programme humanitaire qui soit digne de quelque attention ». Chez lui, l’humanitaire renvoie à un principe supérieur de solidarité envers le peuple. La seconde veine nourrit la pensée internationaliste de Lamartine, véritable ancêtre du « sans-frontiérisme » d’aujourd’hui. Mais le sens du XII^e siècle se glisse volontiers dans celui du XV^e, y introduisant un apolitisme qui ne trompe pas Marx. Dans Misère de la philosophie, il définit le summum de l’humanitaire par le refus de l’antagonisme des classes. L’étymologie sociale du mot « humanitaire » dégage ainsi depuis toujours, selon Maurice Tournier, un « espace de sens ambigu », où se meut encore le mouvement contemporain.