Publié dans le magazine Books n° 82, mars / avril 2017. Par Baptiste Touverey.
L’expédition de Bonaparte en Égypte en 1798 créa un électrochoc en Inde, où les potentats britanniques furent pris de panique à l’idée de perdre le contrôle des routes maritimes. C’est de cette crainte infondée qu’est né le Moyen-Orient, conçu comme un glacis défensif.
Guillemette Crouzet est agrégée d’histoire. Genèses du Moyen-Orient est issu de la thèse de doctorat qu’elle a soutenue en 2014 à l’université Paris-Sorbonne. Elle a reçu le prix Sophie Barluet 2016, décerné par le CNL et un jury présidé par Books.
Dans votre ouvrage, vous développez une thèse audacieuse : le Moyen-Orient serait une création des « Indes ». Qu’entendez-vous par là ?
C’est une création de l’Empire britannique des Indes, pour être exact. Le Moyen-Orient a été conçu par cet empire, au XIXe siècle, comme un glacis défensif sur son flanc occidental. Un espace ayant pour vocation de le prémunir contre une éventuelle invasion.
Mais les Indes étaient alors gouvernées depuis Londres. Pourquoi ne pas parler d’une création « britannique » à propos du Moyen-Orient ?
Parce que les Indes britanniques ont eu tendance pendant tout le XIXe siècle à se comporter sinon comme un État indépendant, du moins comme une entité autonome, à échapper en partie au contrôle de Londres. Je m’inscris là dans une historiographie qui, depuis...