French Theory, French Kiss
Publié dans le magazine Books n° 41, mars 2013.
Le concept clé de Derrida, la déconstruction, a conquis l’Amérique, des campus aux salons. Dans un roman, Jeffrey Eugenides offre de ce mystère une explication plutôt profane : si la « French theory » séduit, c’est qu’elle sert à séduire.
Derrida – crinière blanche, yeux bleus perçants, belle élégance, accent frenchie – ensorcelait les étudiantes californiennes qu’il emmenait dîner, infailliblement, au restau Koto, à Irvine. Mais son charme opérait aussi à distance, à travers toute l’Amérique. L’énigmatique concept derridien, la déconstruction, a « balayé les universités américaines dans les années 1970 et 1980, en proposant de revisiter rien de moins que la façon dont professeurs et étudiants pratiquaient leur activité de base : la lecture », écrivit en 1991 Mitchell Stephens dans un célèbre article du Los Angeles Times. Et la déconstruction ne menaçait pas que la lecture : toute la culture occidentale, en fait, ancienne et moderne, à commencer par le structuralisme qui régnait alors en maître.
L’étonnant déferlement de la « French theory » sur la vie intellectuelle américaine date d’un célèbre colloque à l’université...