Publié dans le magazine Books n° 80, novembre - décembre 2016. Par Colm Tóibín.
Pendant plus de deux siècles, leur voix a envoûté l’Europe. Aujourd’hui, seuls les témoignages écrits nous permettent d’imaginer leurs prouesses. Admirés, désirés, reçus par les rois, ils possédaient d’immenses fortunes et exerçaient une influence politique considérable.
Dans une nouvelle intitulée
Sarrasine, Balzac évoque la stupeur d’une jeune femme à la vue d’un vieillard d’étrange allure, rencontré au cours d’une soirée parisienne. L’écrivain prend un plaisir fou à décrire le personnage. En commençant par son accoutrement : il porte « un gilet blanc brodé d’or » complété d’« un jabot de dentelle d’Angleterre assez roux, dont la richesse eût été enviée par une reine ». Il passe ensuite à la figure : « Ce visage noir était anguleux et creusé dans tous les sens. Le menton était creux ; les tempes étaient creuses ; les yeux étaient perdus en de jaunâtres orbites. Les os maxillaires, rendus saillants par une maigreur indescriptible, dessinaient des cavités au milieu de chaque joue. » Mais les rides et les cavités de ce visage n’étaient pas tout. Il y avait aussi le maquillage : « Quelques vieillards nous présentent souvent des portraits plus hideux ; mais ce qui contribuait le plus à donner l’apparence d’une création artificielle au spectre survenu devant nous, était le rouge et le blanc dont il reluisait. » L’homme arborait enfin une perruque légère « dont les boucles innombrables...