Publié dans le magazine Books n° 100, septembre 2019. Par Nathalie Heinich.
Le problème aujourd’hui n’est pas le manque d’esprit critique. C’est plutôt son excès et le manque de discernement. Personne n’y échappe : ni le citoyen lambda, ni les intellectuels, ni les artistes.
Il faut enseigner aux jeunes l’esprit critique », déclarait récemment un excellent spécialiste des théories du complot à qui l’on demandait quoi faire pour lutter contre l’épidémie de complotisme. Le problème est que les adeptes de ces théories les endossent et les diffusent au nom, précisément, de l’« esprit critique » : critique des « vérités officielles », critique des « prétendues vérités scientifiques », critique des « manipulations médiatiques ».
Les mêmes, d’ailleurs, sont prêts à gober complaisamment le moindre ragot circulant sur les réseaux sociaux et, pire, à le relayer comme vérité révélée (des enquêtes ont montré que la propension à croire aux théories du complot est fortement corrélée au fait de s’informer sur les réseaux sociaux et YouTube plutôt que via les médias professionnels et les agrégateurs d’actualités). C’est dire que le problème n’est pas le manque d’esprit critique : c’est plutôt son excès ou, plus précisément, le manque de discernement quant à ses cibles.
« Démocratisation » oblige, un individu quelconque, sans autre contrainte ...