Et Portnoy eut raison des censeurs australiens
Publié en juillet 2020. Par Amandine Meunier.
Il a fallu un best-seller au contenu aussi cru que subversif pour que l’Australie révise son antique système de censure : Portnoy et son complexe de Philip Roth. D’abord interdit, puis diffusé sous le manteau par Penguin’s Australia, subdivision de la célèbre maison britannique, le célèbre roman finit par avoir raison des censeurs : c’est cette saga que raconte l’universitaire Patrick Mullins dans The Trials of Portnoy.
En 1970, avant d’être présentées au public, les œuvres sont sélectionnées par différents services fédéraux et locaux, ainsi qu’un bureau de censure de la littérature. « Datant de la fin du XIXe siècle quand les romans d’Émile Zola, Honoré de Balzac et Guy de Maupassant étaient considérés comme trop osés pour le lectorat australien, ce système est devenu particulièrement sévère pendant l’entre-deux-guerres », résume l’universitaire Amanda Laugesen sur le site Inside Story. « Nous avons censuré Hemingway, Baldwin, Vidal, Salinger, Donleavy, Burroughs, Miller et McCarthy. Nous avons censuré Ulysse de Joyce, puis l’avons autorisé, avant de le censurer de nouveau. À une époque, même la liste des livres censurés était censurée », s’emporte le critique James Ley dans l’Australian Book Review.
De Zola à Philip Roth
Dans les années 1950 et 1960, les tollés soulevés par l’interdiction, entre autres, de L’Attrape-Cœurs de Salinger et de L’Amant de lady Chatterley de D.H. Lawrence commencent à faire bouger les lignes. Les éditeurs de Penguin attendent le bon moment pour porter le coup final, explique Mullins. En juillet 1970, ils impriment dans le plus grand secret 75 000 exemplaires de Portnoy et son complexe. Défiant les autorités, ils annoncent la sortie du livre en claironnant : « Nous sommes prêts à aller jusqu’à la Cour suprême ! ». Portnoy est vendu sous le manteau, mais le succès est immédiat.
Les censeurs dans l'embarras
La charge de faire respecter l’interdiction du livre incombe aux États. « Une large partie du livre de Mullins est consacrée à la description des procès, et sa lecture est divertissante », souligne Laugesen. Les procureurs insistent sur les passages les plus crus de Portnoy. Face à eux, la défense aligne le gratin de la littérature australienne qui vante les qualités du roman. Les résultats sont partagés. En décembre 1972, les élections générales mettent un terme à l’affaire. Le travailliste Gough Whitlam devient Premier ministre et aboli la censure.
Mullins ne se contente pas de retracer cet épisode, il remet en cause l’idée que ses compatriotes se font d’eux-mêmes, assure Ley : « Nous avons ce mythe stupide et agaçant selon lequel nous serions des trublions irrévérencieux épris de liberté, alors qu’il est évident que nous avons longtemps été une nation de prudes et de rabats-joie. »
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