La double vie de Caroline Pavlova
Publié le 12 décembre 2019. Par Amandine Meunier.
« Au XIXe siècle, quand sa littérature égalait tout ce qui avait été écrit jusqu’alors dans le monde, la Russie n’avait toujours pas de “grande femme écrivain” – pas de Sappho, d’Ono, de Komachi ou Murasaki Shikibu, pas de Madame de Staël ou de George Sand, pas de Jane Austen ou de George Eliot – ou c’est ce que nous pourrions penser en nous fiant simplement aux œuvres les plus connues de l’époque. Mais nous savons aujourd’hui que c’est faux », note l’universitaire Barbara Heldt dans la préface de sa traduction en anglais de Double Vie (Двойная жизнь) de Caroline Pavlova.
Poétesse boudée
Pavlova (1807-1893), tenait un salon littéraire à Moscou avec son époux l’écrivain Nikolai Pavlov. Beaucoup de ses contemporains boudaient cependant sa poésie. Le sérieux qu’elle mettait dans ce qu’elle appelait son « œuvre sacrée » était considéré comme incompatible avec son sexe. Abandonnée par son mari, Pavlova partit vivre en Allemagne à partir de 1858.
Romancière célébrée
Pourtant, son unique roman Double Vie, lors de sa parution dix ans plus tôt, lui avait valu des éloges pour sa forme révolutionnaire et son acuité psychologique. « Pavlova avait écrit un livre dépeignant le combat d’une femme contre les carcans sociaux et insistait sur l’indépendance de l’inconscient, un bon demi-siècle avant que Freud popularise le concept », précise Talya Zax dans le magazine américain The Atlantic.
Cécile, son héroïne, est une jeune aristocrate dont les journées, décrites en prose, sont consacrées à la romance et aux fêtes. Mais la nuit, ses rêves défilent en vers. Cette poésie lui offre une échappatoire face à l’extrême pression sociale qui régit sa vie sans même qu’elle s’en aperçoive. «Le livre est remarquable pour sa description du fonctionnement d’une oppression internalisée, ajoute Zax. Le système social dans Double Vie est défini par la suprématie masculine. Mais ce sont d’abord les femmes qui le font respecter. » Et Pavlova ne manque pas de souligner que Cécile considère les poétesses comme affligées par une horrible maladie, en profitant pour témoigner ainsi de sa propre double vie, note la professeur de russe Katharine Hodgson dans The Times Literary Supplement.
À lire aussi dans Books : De la littérature russe comme science politique, décembre 2014.