Publié dans le magazine Books n° 11, janvier-février 2010. Par Adam Gopnik.
Il est né il y a cent ans exactement, dans une roulotte, sur une route de Belgique. Il est mort quarante-trois ans plus tard, près de Paris, devenu un mythe. Entre-temps, il avait volé des poules, joué à la terrasse des cafés, tiré les cartes, survécu à un incendie, écumé les bals musettes, rencontré Stéphane Grappelli et inventé le jazz manouche. Django Reinhardt, l’un des plus grands guitaristes de l’histoire, eut un destin de comète et une postérité de légende. Partout dans le monde, ses héritiers perpétuent sa musique d’où suinte une atmosphère de fête foraine : il n’y a jamais bien loin, dans les mélodies de Django, de l’allégresse au désespoir. Une œuvre à l’image d’une vie où l’insouciance n’a cessé de côtoyer le tragique, l’ombre, la lumière. Retour sur l’étrange épopée d’un Tsigane qui triompha sous l’Occupation, et incarne à jamais les déchirements de Paris.
Il existe un merveilleux endroit pour passer un après-midi d’hiver à Paris : un bar dénommé La Chope des Puces, au cœur de la célèbre brocante de Saint-Ouen. Là, tous les dimanches depuis des temps immémoriaux, deux guitaristes burinés par les ans se retrouvent pour jouer sur des guitares burinées par les ans des airs de jazz à la manière de Django Reinhardt et de son quintette, le Hot Club de France. Les accords retentissants, les mélodies vives en ton mineur, le vibrato particulier, profond, déchirant, les montées et descentes chromatiques impétueuses sur la touche, avec l’immuable boum-tchic boum-tchic des cordes de la guitare secondaire : le cher son de Django est là, et quelque chose de l’émotion aussi. Les imitateurs de jazz sont généralement pathétiques – cortège de musiciens « Dixieland » en chapeau de paille essayant de jouer comme Louis Armstrong, et autres big bands fantômes, pauvres cours sans Count ni Duke 1 ; mais ces djangoïstes du dimanche, comme tant d’autres à Paris et dans le monde, n’ont rien de pathétique. Il existe des « hot clubs » djangoïstes en Norvège, au...