Ces émotions qui nous gouvernent
Publié dans le magazine Books n° 25, septembre 2011.
Un siècle avant Freud, des auteurs comme David Hume et Adam Smith l’avaient déjà vu : le fonctionnement de l’esprit humain repose sur des mécanismes pour l’essentiel inconscients. En soulignant le rôle majeur joué par les passions et les affects dans nos prises de décision, ils retiraient à la conscience et à la raison les privilèges que leur avait accordés Descartes. Pour David Brooks, la psychologie moderne leur a clairement donné raison…
Un siècle avant Freud, des auteurs comme David Hume et Adam Smith l’avaient déjà vu : le fonctionnement de l’esprit humain repose sur des mécanismes pour l’essentiel inconscients. En soulignant le rôle majeur joué par les passions et les affects dans nos prises de décision, ils retiraient à la conscience et à la raison les privilèges que leur avait accordés Descartes. Pour David Brooks, la psychologie moderne leur a clairement donné raison.
Dans The Social Animal, ce chroniqueur vedette du New York Times, féru de sciences cognitives et de biologie de l’évolution, passe en revue nombre de travaux récents montrant que « nos émotions, nos perceptions et nos intuitions ont beaucoup plus d’impact sur la construction de nos vies que la raison et la volonté », résume le philosophe Thomas Nagel dans le New York Times. Brooks en tire des leçons inattendues, notamment dans le domaine politique. Il serait ainsi inutile d’en appeler à la raison des citoyens, comme on le fait, par exemple, dans la lutte contre le tabagisme ou l’insécurité routière. « Les incitations et les arguments rationnels, explique Nagel, ne peuvent affecter l’origine profonde de nos erreurs ; seules en sont capables les injonctions sociales omniprésentes qui influent sur les mécanismes inconscients de l’esprit. »
Paresse morale
Mais que faire, sinon recourir à la conscience, quand ces mêmes mécanismes nous entraînent dans la mauvaise direction ? Des études ont établi, par exemple, que nous éprouvons davantage de sympathie pour les individus qui nous ressemblent, notamment par leur couleur de peau, que pour les autres. Faut-il, au prétexte que nos émotions auront toujours le dernier mot, s’abstenir d’opposer le moindre argument à cette forme innée de racisme ? Pour Nagel, « il y a de la paresse morale et intellectuelle dans la manière dont Brooks dévalue la réflexion consciente, notre seul recours lorsque nos émotions, ou les normes dont nous avons hérité, nous donnent des instructions infondées ».
Un autre défaut de l’ouvrage tient à sa forme. Pour rendre son livre plus vivant, Brooks a choisi de lui donner la forme d’un roman. On suit donc l’évolution de deux personnages, Harold et Erica, chaque étape de leur vie étant le prétexte d’une exploration de la littérature scientifique récente. Le procédé remporte l’adhésion massive du public américain, mais peine à convaincre la critique.