Publié dans le magazine Books n° 52, mars 2014. Par Daniel Barenboïm.
« Je tiens la race juive pour l’ennemie née de l’humanité », écrivait le compositeur entre autres aménités. Et Hitler voyait en lui « le plus grand prophète que les Allemands aient jamais eu ». Obsédés par cette association, les Israéliens ostracisent le compositeur. Erreur de jugement, explique un grand chef d’orchestre juif, qui a fait jouer deux morceaux de Wagner en Israël.
Aucun compositeur, dans l’histoire de la musique, n’a davantage que Richard Wagner cherché à combiner dans ses œuvres des éléments aussi manifestement incompatibles. Les traits qui enthousiasment tant ses admirateurs sont aussi ceux qui rebutent le plus ses détracteurs – comme sa quête de l’extrême dans tous les aspects de la composition. Mais s’il a poussé jusqu’au point de rupture les limites de l’harmonie et des formes de l’opéra, il a aussi formulé ses idées musicales avec une extraordinaire économie de moyens. Paradoxalement, c’est cette parcimonie même qui donne à ses compositions leur envergure incomparable. Peut-être jugeait-il nécessaire de faire un usage particulièrement frugal de certains éléments isolés pour que l’effet du
Gesamkunstwerk – l’œuvre d’art totale – soit encore plus puissant et inattendu (1).
On trouve un bon exemple de cette économie au début du premier acte de
La Walkyrie, où se déchaîne une terrible tempête. Beethoven, pour évoquer l’orage dans sa
Sixième Symphonie, a utilisé tous les instruments de l’orchestre ; étant donné la richesse instrumentale dont disposait Wagner,...