Le 11 mars 2011, un violent séisme, suivi d’un tsunami, dévastait la centrale nippone de Fukushima-Daiichi, causant le pire accident industriel depuis Tchernobyl en 1986. Des dizaines de milliers d’habitants ont été évacués dans un rayon de 20 kilomètres. Très peu sont revenus.
Les autorités japonaises estiment qu’il faudra quarante ans pour décontaminer le site et démanteler les installations. Chaque jour, des dizaines de milliers d’hommes travaillent à
Ichi-Efu (« 1F », comme on appelle la centrale en japonais). Beaucoup ne sont pas des professionnels du secteur. Peu d’entre eux ont la volonté ou le droit de partager ce qu’ils vivent. Et, si plusieurs mangas sur la catastrophe nucléaire sont parus au Japon depuis 2011, un seul est signé de la main d’un des travailleurs d’Ichi-Efu :
Au cœur de Fukushima, paru au Japon en 2014 et que traduisent aujourd’hui en français les éditions Kana. Son auteur se fait appeler Kazuto Tatsuta. C’est un pseudonyme, assumé par le mangaka, pour pouvoir « retourner un jour sur le site ».
Recruté en juin 2012 par un petit sous-traitant de Tepco, l’exploitant de la centrale, Tatsuta passe les premiers mois loin des réacteurs. Un travail mal payé : 8 000 yens par jour (environ 60 euros). Il décroche ensuite un poste de plombier dans un bâtiment du réacteur n° 3, le plus dangereux. Là, il touche 20 000 yens (145 euros). En réalité, comme il le raconte dans
Au cœur de Fukushima, il travaille rarement plus d’une heure par jour, en raison de la radioactivité très élevée.
Le récit de Tatsuta est celui de la banalité quotidienne des travailleurs de la centrale : les conditions de travail, les mesures de sécurité, les heures de transport pour se rendre sur le site, les dosimètres personnels qui sonnent chaque fois qu’un ouvrier reçoit un cinquième de la dose journalière autorisée, le temps passé à enfiler et retirer les gants en caoutchouc et en coton, les combinaisons Tyvek, les différents masques, avec filtre à charbon ou à poussière, etc. Un témoignage subjectif, partiel. Partial aussi.
Car
Au cœur de Fukushima se veut avant tout rassurant. C’est le récit d’une aventure humaine, où l’on voit les ouvriers rire de bon cœur. Kazuto Tatsuta se garde bien de s’ingérer dans le débat sur l’avenir du nucléaire au Japon : « Mon propos n’était pas de faire un ouvrage à thèse sur Fukushima. Je voulais simplement rendre hommage à ces hommes anonymes qui font simplement de leur mieux ce qu’il y a à faire, loin des projecteurs », explique-t-il dans un entretien au
Guardian.
Nulle mise en cause de la sécurité des travailleurs ici, pas de mention des risques sanitaires ni des conséquences sur l’environnement, la nourriture, l’eau, etc. Au détour des vignettes, Tatsuta accuse même la presse de mentir sur le traitement des ouvriers et de dramatiser la situation. Même si l’ouvrage n’est pas une commande (l’auteur l’a réalisé pour un concours de jeunes auteurs), de nombreux lecteurs et internautes nippons le jugent sans doute trop positif pour être vrai.
De fait, conclut le correspondant du
Guardian à Tokyo, les lecteurs qui chercheraient là une confirmation du fait que la décontamination de Fukushima-Daiichi, comme l’ont démontré plusieurs enquêtes parues dans la presse japonaise, est laissée aux mains d’entreprises peu scrupuleuses, en lien avec la mafia, employant des ouvriers sans formation ou presque et munis d’équipements de protection dérisoires au vu des niveaux d’exposition, seront à coup sûr très déçus. »
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