Le système scientifique sur le gril

Largement motivée par des raisons idéologiques, l’offensive menée par Trump contre une bonne partie de l’establishment scientifique intervient dans un contexte de crise profonde dudit establishment. Un article publié dans la revue Science, qui en est le cœur, l’expose avec une rare crudité. Le prétexte est un livre-enquête publié par l’un de ses journalistes, Charles Piller, sur l’un des cas de fraude les plus saillants de ces dernières années. Il concerne la maladie d’Alzheimer. Résultat : le consensus sur l’implication des plaques dites amyloïdes dans la genèse de la maladie, consensus sur lequel des carrières se sont construites et de coûteux essais cliniques ont été réalisés, est remis en cause. À l’origine, des fraudes en série commises par un chercheur français recruté par l’un des plus célèbres laboratoires spécialisés en la matière, à l’université du Minnesota. Mais au-delà de ce cas personnel, c’est tout le système de recherche qui une fois de plus révèle sa déliquescence. 


Fait notable, le signataire du compte-rendu dans la célèbre revue, Carl Elliott, lui-même de l’université du Minnesota, expose la manière dont son université a couvert le chercheur. Fait non moins notable, il donne les noms de certaines des pointures elles aussi impliquées, y compris à Harvard, à l’université de Californie du Sud ainsi qu’au NIH (National Institutes of Health), lequel est dans le collimateur de Trump. La revue Nature est mise en cause : elle a mis dix-huit ans avant de « rétracter » l’article phare du chercheur français, censé avoir été « revu par les pairs ». En cause aussi l’entreprise Cassava Sciences, qui a obtenu de la FDA (Food and Drug Administration) de procéder à des essais cliniques pour le simufilam, l’une des molécules testées dans le cadre de la théorie amyloïde. 


« Le plus frappant est peut-être l’atmosphère de peur rapportée par l’auteur, écrit Elliott. Pratiquement tous ceux à qui il essaie de parler sont terrifiés. » Et la plupart de ceux à qui est présentée la preuve que des articles qu’ils ont cosignés comportent des images falsifiées « se cachent derrière des avocats et refusent de répondre aux questions ». Pourtant, observe Elliott, « il serait erroné de faire porter tout le blâme sur des chercheurs individuels. Ils travaillent dans un système qui leur donne de puissantes incitations à tricher, sans grand risque d’être punis. Les journaux scientifiques résistent aux pressions exercées pour rétracter des articles. Des chercheurs de renom ajoutent leur nom à des articles qu’ils n’ont pas examinés de près et rejoignent le conseil d’administration d’entreprises sujettes à caution. Le plus dommageable est peut-être le comportement des institutions de recherche, dont beaucoup font de leur mieux pour couvrir les inconduites des chercheurs et les protéger. »


Dans un compte-rendu du même livre paru dans le Times Literary Supplement, Kathleen Taylor, qui a publié deux livres sur les démences du type Alzheimer, cite sans émettre de réserve l’expression de « mafia amyloïde » utilisée par l’auteur et cite un passage où il évoque les conflits d’intérêts qui pervertissent les décisions de la FDA : « Des membres des comités consultatifs de la FDA gagnent des centaines de milliers de dollars versés par les entreprises dont ils ont approuvé les médicaments ». 

LE LIVRE
LE LIVRE

Doctored: Fraud, Arrogance, and Tragedy in the Quest to Cure Alzheimer’s de Charles Piller, Icon Books, 2025

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