Jacques a dit
Publié dans le magazine Books n° 119, mai-juin 2022. Par Jean-Louis de Montesquiou.
On l’a traité de charlatan, et lui-même se demandait si au fond il n’en était pas un. Jacques Derrida a droit à une nouvelle biographie par Peter Salmon, qui avance que le chantre du déconstructionnisme n’aurait rien du postmoderniste radical qu’on a voulu faire de lui.

Derrida plaisait beaucoup aux étudiantes américaines (et vice versa). « On peut dire ce qu’on veut, le type avait vraiment l’air cool. Pommettes saillantes, yeux malicieux et ophidiens, et cette touffe de cheveux blancs – il aurait pu être un chanteur pop, le Sacha Distel de la déconstruction sémiotique », se pâme Christopher Bray dans The Critic Magazine. Le philosophe français est en effet devenu l’emblème de la French Theory outre-Atlantique ; et la déconstruction, son concept phare, sommairement brandi comme un appel à la rébellion contre la culture occidentale, a contribué à mettre le feu aux campus californiens à la fin des années 1970. Les jeunes contestataires arboraient des tee-shirts floqués d’une caricature de Derrida. Woody Allen intitulera même un de ses films Deconstructing Harry (Harry dans tous ses états). Et, comme le philosophe était réputé illisible, y compris en France, on pouvait l’invoquer sans se donner la peine de le lire.
Mais comment un jeune enseignant presque inconnu à domicile était-il devenu en Amérique « le roi Babar du postmodernisme », selon les mots...