Publié dans le magazine Books n° 67, juillet - août 2015. Par Irina Glouchtchenko.
Une pellicule immonde se formait sur la mayonnaise dès qu’on ouvrait la boîte, on faisait la queue pour acheter un seul article par personne et le yaourt était inconnu. Mais la propagande soviétique invitait au rêve gastronomique. Un célèbre livre de cuisine familiale enseignait ainsi l’art de préparer les bécasses, les poires au xérès ou les aspics d’esturgeons… Cet idéal culinaire d’une société socialiste accomplie séduisait étrangement des Soviétiques confrontés chaque jour à la pénurie de tout.
Au restaurant de l’hôtel, les clients s’approchent du buffet. Sur une énorme assiette, ils posent trois croissants, deux tranches de pain blanc, de l’omelette, une montagne de bacon. C’est le premier passage. Il y en aura un deuxième, un troisième, un quatrième… Ne leur a-t-on jamais expliqué que c’était mauvais pour la santé ? Que ces aliments sont gras ? Qu’ils risquent d’avoir un taux de cholestérol élevé, des artères bouchées, de mourir de ces excès alimentaires ? Pourquoi donc sont-ils donc si gais ?
La clé de l’énigme tient dans la formule « tout compris » – l’idéal du touriste russe à qui l’on a jadis annoncé l’avènement prochain du communisme. Cette promesse n’a pas été tenue, mais l’idée d’une consommation illimitée et facile triomphe à leur grande joie dans les stations balnéaires turques.
À l’époque soviétique, les plats étaient plus épais et plus lourds que dans la Russie d’aujourd’hui. La population mangeait alors des bouillies visqueuses, qu’elle devait faire mijoter longtemps. Sans compter qu’il fallait au préalable retirer toutes les saletés présentes...