Publié dans le magazine Books n° 47, octobre 2013. Par John Gray.
La pensée confuse du philosophe slovène convient à merveille à une civilisation tétanisée par le spectacle de sa propre fragilité. Žižek séduit en annonçant l’apocalypse du capitalisme et en prônant la révolution depuis son fauteuil. Sourd à la réalité historique du totalitarisme, il défend une théorie de la violence rédemptrice à la fois grotesque et indécente : les Khmers rouges ? Pas assez radicaux ! Hitler ? Pas assez violent !
Peu de penseurs illustrent mieux les contradictions du capitalisme contemporain que le philosophe slovène Slavoj Žižek. La crise financière et économique a démontré la fragilité d’une économie de marché que ses défenseurs pensaient sortie victorieuse de la Guerre froide ; pourtant, on ne voit émerger rien qui rappelle un tant soit peu le projet socialiste, que beaucoup voyaient autrefois comme le successeur désigné du capitalisme. Reflétant de bien des façons cette situation paradoxale, l’œuvre de Žižek a fait de lui l’un des intellectuels les plus célèbres de la planète.
Le philosophe est né et a grandi à Ljubljana, capitale de la Slovénie (alors membre de la Fédération yougoslave, le pays est devenu indépendant en 1990), puis a occupé des postes académiques au Royaume-Uni, aux États-Unis, en Europe de l’Ouest et dans son propre pays. Sa production immense (plus de soixante volumes depuis la parution en 1989 de son premier livre en anglais,
The Sublime Object of Ideology), ses innombrables articles et interviews, auxquels il faut ajouter des films tels que
Žižek ! (2005) et
The Pervert’s Guide to...