Publié dans le magazine Books n° 63, mars 2015. Par Gavin Francis.
Un praticien, confronté chaque jour aux tourments endurés par ses patients, évoque les tâtonnements de la médecine occidentale face à la douleur. Avec des conséquences parfois cocasses, quand le double whisky devient un remède contre l’angoisse existentielle ; mais plus souvent tragiques, quand les hommes de l’art continuent à soupçonner les malades de « simuler ». Lestée de siècles de malentendus, la prise en charge de la douleur reste un parent pauvre de la médecine.
Je venais de recevoir un homme se plaignant de migraines et j’étais sur le point d’appeler une patiente souffrant de mal de dos lorsque la réceptionniste me fit signe : « J’ai Mme Lagnari au bout du fil, annonça-t-elle dans un murmure de théâtre. Son mari a des douleurs terribles. Vous voulez bien passer le voir ? »
On recommande vivement aux médecins, pendant leurs études, de ne pas tirer de conclusions hâtives. Ils sont censés attendre d’avoir posé toute une batterie de questions et poussé le patient dans ses retranchements avant de dresser la liste des diagnostics possibles. Malgré tout, je ne pus m’empêcher d’échafauder des hypothèses sur l’aggravation de la douleur de M. Lagnari. Un homme atteint d’un cancer du pancréas à un stade avancé, qui avait gagné le foie. Peut-être sa tumeur avait-elle grossi, faisant pression sur les nerfs situés autour de l’organe et s’y insinuant. Peut-être les métastases avaient-elles commencé à étirer la capsule fibreuse du foie ; la douleur qui en résulte est parfois terriblement difficile à maîtriser. J’avais vu M. Lagnari la semaine précédente...