Publié dans le magazine Books n° 96, avril 2019. Par Martín Caparrós.
Partir ou rester ? Ces dernières années, trois à quatre millions de Vénézuéliens ont quitté leur pays. Beaucoup d’autres y songent. Certains s’y refusent. Mais jusqu’à quand ? Un écrivain argentin est allé à la rencontre des habitants d’une capitale divisée, où presque plus rien ne marche.
Dis-moi que tu es bien rentré(e). »
C’est ce que se disent les uns aux autres cinq journalistes vingtenaires quand ils se quittent un jeudi à dix heures du soir. Au cours du dîner, ils m’ont raconté les agressions et les enlèvements qu’ils ont subis, leurs amis morts et leurs proches partis, alors je leur demande si notre conversation les a rendus paranos, mais ils me disent non, tout le monde se dit au revoir comme ça ici.
— Dis-moi que tu es bien rentré(e).
Et c’est ce qu’ils font quand ils arrivent.
— T’inquiète, je te dirai.
« Quant à l’héroïque et malheureux Venezuela, les événements s’y sont déroulés si vite, et la dévastation y fut telle, qu’il se voit maintenant réduit à une indigence absolue et à une désolation épouvantable. Et pourtant ce beau pays était naguère l’orgueil de l’Amérique ! » écrivit, de son exil à la Jamaïque en 1815, Simón Bolívar, que les Vénézuéliens considèrent comme leur libérateur
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« Mais n’oublie pas de me dire que tu es bien rentré(e), autrement...