Une inflation malsaine
Publié dans le magazine Books n° 121, septembre-octobre 2022. Par Anthony Daniels.
Nous pensons à tort qu’il existe une forme de proportionnalité entre le désarroi d’une personne et la cause de celui-ci. Cette erreur est encouragée par les psychologues et le système judiciaire. Résultat : le malheur enfle avec les moyens consacrés à son soulagement. Pour comprendre ce qu’il en est de la vulnérabilité au traumatisme, il n’est pas inutile de revenir sur le témoignage des victimes du génocide rwandais.
Au commencement de la première guerre du Golfe, en août 1990, notre hôpital fut sélectionné pour recevoir les blessés. Les psychologues se réunirent pour discuter du travail à venir et j’eus la singulière impression qu’ils s’y préparaient avec une sorte de plaisir morbide. Ils auraient à leur disposition une pléthore de plaies psychiques à panser grâce à leurs techniques et à leur expérience, ce qui permettrait de valider aux yeux de la société l’incommensurable valeur de leur profession. Les esprits brisés par les traumatismes seraient réparés, laissant entrevoir, pourvu qu’il y ait assez de psychologues disponibles, un monde où la souffrance humaine ne serait bientôt plus qu’une relique des temps obscurs. Il n’est de malheur qui résiste à une thérapie qui lui réponde.
En l’occurrence, on ne reçut pas de blessés, et j’eus de nouveau cette impression étrange que les psychologues étaient quelque peu déçus, tels des prédateurs privés de leur proie au terme d’une longue...