Un philosophe qui vaut un retour
Publié en février 2025. Par Books.
Si l’on vous demandait quel était le philosophe le plus renommé et le plus populaire en Occident à la veille de la Première Guerre mondiale, peu d’entre vous connaîtraient la réponse. En février 1913, la conférence d’Henri Bergson à l’université Columbia provoqua le premier embouteillage recensé dans la ville de New York. En 1911, le succès de sa tournée en Angleterre avait provoqué la jalousie de Bertrand Russell : « toute l’Angleterre s’est entichée de lui ; on se demande pourquoi ». À Paris, les dames se pressaient pour assister à ses leçons au Collège de France. À l’époque le célèbre journaliste américain Walter Lippmann expliquait ainsi sa popularité : « il exprime avec une clarté splendide ce que des milliers de gens ressentent vaguement ».
Dans la première biographie en anglais à lui être consacrée, Emily Herring creuse en particulier les raisons pour lesquelles ce penseur français d’origine juive, de père polonais et de mère anglaise, a complètement disparu de nos radars. L’une d’elles et non des moindres fut les doutes qu’il exprima dans les années 1920 sur la valeur explicative de la théorie de la relativité quant à la nature du temps. Bergson est depuis lors considéré comme un homme du passé, qui ne comprenait rien aux sciences. C’est tout à fait injuste, explique Herring. Le jeune Bergson était un mathématicien de haut niveau, qui à 17 ans avait résolu un problème laissé en plan par Fermat. Il ne contestait nullement la théorie de la relativité mais maintenait que la mathématisation du temps ne permettait pas de rendre pleinement compte de sa nature. Vers la fin de sa vie, Einstein revint sur le dédain qu’il avait contracté à l’égard du philosophe, admettant qu’« il n’y a pas de distinction claire entre l’objectif et le subjectif », écrit Mary Ellen Hannibal dans Science.