Publié dans le magazine Books n° 64, avril 2015. Par Pankaj Mishra.
Quelque 13 500 îles, 360 ethnies, plus de 700 langues… Le premier pays musulman de la planète est une hallucinante mosaïque de cultures enchevêtrées qui ont donné naissance à l’une des nations les plus bigarrées, les plus tolérantes et les plus artificielles qui soient. Face aux tensions créées par la mondialisation et la radicalisation islamiste, elle tente aujourd’hui de s’inventer un nouveau projet collectif. Un défi auquel la plupart des sociétés sont aujourd’hui confrontées.
L’Indonésie fut, après l’Inde et la Chine, le troisième plus grand État-nation à naître au milieu du XXe siècle. Composé de milliers d’îles petites et grandes, le pays s’étend sur un espace maritime vaste comme les États-Unis et abrite la plus importante population musulmane de la planète. Pourtant, sur notre carte mentale du monde, l’Indonésie n’est guère plus qu’un théâtre lointain pour tremblements de terre, tsunamis et éruptions volcaniques. Les traumatismes politiques de l’Égypte postcoloniale, à commencer par la crise de Suez, sont bien plus connus que le massacre de plus d’un demi-million d’Indonésiens soupçonnés d’appartenir à la mouvance communiste, à partir de 1965, ou que la rébellion sécessionniste qui a duré trente ans dans la province d’Aceh. Les éditorialistes de politique étrangère, qui ont prématurément salué de nombreuses révolutions à la fin de la Guerre froide (rose en Géorgie, orange en Ukraine, verte en Iran ou safran en Birmanie), n’ont pas su donner un code couleur au renversement spectaculaire, en 1998, de Suharto, dictateur de longue date de l’Indonésie. Ils ont à peine...