Un Croisé du climat
Publié en novembre 2016. Par Olivier Postel-Vinay.
Une courte chronique sur les cyclones parue sous mon nom dans Libération (« Toujours plus de cyclones ? », 19 octobre 2016) a suscité quelque émoi, d’abord au sein de la rédaction du journal, puis ailleurs. Ancien responsable environnement du quotidien, le Croisé (†) Sylvestre Huet, qui se produit désormais sur le site du Monde, a rédigé une philippique ainsi titrée : « Libération, Postel-Vinay et le climat ». Il me présente comme un « menteur » et un « négationniste ».
A l’appui de ses dires, il écrit d’abord : « L’affirmation selon laquelle la température planétaire n’a pas augmenté depuis 1998 est un mensonge d’une énormité telle qu’on a peine à imaginer comment un journaliste comme Postel-Vinay pourrait conserver une quelconque crédibilité sur ce sujet après l’avoir publiée ».
Appelé « hiatus » par la communauté scientifique, l’arrêt de la hausse des températures moyennes a pourtant été dûment reconnue par le Giec dans son dernier rapport scientifique. Le sujet est abordé pp. 769 sq. Je reproduis ici le début du texte d’un encadré intitulé :
« Climate Models and the Hiatus in Global Mean Surface Warming of the Past 15 Years » :
« The observed global mean surface temperature (GMST) has shown a much smaller increasing linear trend over the past 15 years than over the past 30 to 60 years […] Depending on the observational data set the GMST trend over 1998–2012 is estimated to be around one-third to one-half of the trend over 1951–2012 […]. For example, in HadCRUT4 the trend is 0.04ºC per decade over 1998–2012, compared to 0.11ºC per decade over 1951–2012. The reduction in observed GMST trend is most marked in Northern Hemisphere winter.” [...]. Even with this “hiatus” in GMST trend, the decade of the 2000s has been the warmest in the instrumental record of GMST[…]. Nevertheless, the occurrence of the hiatus in GMST trend during the past 15 years raises the two related questions of what has caused it and whether climate models are able to reproduce”.
Une augmentation de 0,04°C par décennie ne se distingue pas du bruit statistique. Le « hiatus » est confirmé par les mesures par satellites, qui ne distinguent aucune augmentation pour la basse atmosphère dans cette période. Et même si certains scientifiques s'emploient aujourd'hui à essayer de montrer que le "hiatus" est une fiction, le phénomène est bien reconnu par la plupart des auteurs. Voir par exemple cet éditorial de Nature paru le 23 août 2013 titré « Hidden Heat » et dont le « chapeau » commence par ces mots : « Scientists are homing in on the reasons for the current hiatus in global warming ».
Le débat scientifique porte surtout sur les moyens d'expliquer le « hiatus ». Plusieurs hypothèses entrent en concurrence . Voir par exemple le dossier paru dans Nature le 16 janvier 2014, intitulé "The case of the missing heat", dont le chapeau est : « Sixteen years into the mysterious ‘global-warming hiatus’, scientists are piecing together an explanation ».
Le † Sylvestre m’entreprend ensuite sur El Niño, ce phénomène oscillatoire de grande ampleur qui vient bouleverser le climat de la Terre à intervalles irréguliers. J’écrivais simplement que les scientifiques en ignorent la cause profonde. Mais rien dans les arguments de notre Croisé ne vient infirmer cette constatation. Comme le note sobrement l’article en anglais de Wikipedia, « Mechanisms that cause the oscillation remain under study ».
Le † Sylvestre m’accuse aussi de « tromper mes lecteurs » sur le sujet même de mon article, les cyclones. Je dois battre ma coulpe à cet égard car j’ai laissé passer une erreur : ce n’est pas la Floride que l’ouragan Katrina a dévastée, mais bien sûr la Louisiane (La Nouvelle Orléans). Le Croisé n’a pas remarqué ce lapsus, pas plus d’ailleurs que les limiers de Libération. Il ne pouvait savoir, en revanche, que certaines phrases du texte initial de ma chronique ne se retrouvent pas dans le texte publié. Ainsi ce passage : « Aucun cyclone n’a frappé la Floride entre 2005 et 2016, alors que pas moins de 37 s’étaient abattus sur cette région en 1885 et 1930. On ne peut que saluer l’honnêteté du Giec d’avoir reconnu s’être quelque peu fourvoyé sur ce point » [celui de l’augmentation annoncée de la fréquence et de l’intensité des cyclones].
A l’appui de son argumentation, le † Sylvestre reprend curieusement à son compte ce que j’écris. Il rappelle lui-même que, « comme l’indique le rapport spécial du Giec, il n’y a pas de tendance observée à l’augmentation de la fréquence des cyclones depuis quarante ans. Quant aux études observant une augmentation de l’intensité des cyclones les plus violents, noté dès 2008, elles sont encore à confirmer ». Nous sommes donc d’accord, et je ne vois pas le problème. Il apporte seulement une information supplémentaire, un sujet que je n’abordais pas. Il cite une étude de Nature du 15 mai 2014, d’après laquelle « les trajectoires des cyclones ont été modifiées, les poussant vers des latitudes plus élevées, au nord et au sud ». Il renvoie à l’article qu’il a publié dans Libération pour en rendre compte. Mais pas plus que dans cet article il ne cite le commentaire publié par Nature pour éclairer cette étude, dans laquelle on lit : « the North Atlantic region […] shows almost no poleward trend on the basis of historical ‘best-track’ data over the past 30 years. Moreover, when the authors used a state-of-the-art data set of tropical-cyclone intensity, an opposite, equatorward, trend is found for the North Atlantic »…
Cet exemple illustre à la perfection la phrase qui venait clore ma chronique et que la rédaction de Libération a supprimée : « La science du climat est encore jeune et fragile ».
Par les temps qui courent, cela fait plaisir de voir qu’il est encore possible de choquer. Même en exprimant des truismes, comme dans la phrase ci-dessus. Je souhaite ici ajouter quelques précisions. Je ne pense pas être un menteur et ne suis certainement pas un « négationniste », une injure que les Croisés † du genre de Sylvestre Huet et certains climatologues se plaisent à colporter, des deux côtés de l’Atlantique, sur tous ceux qui ne sont pas de leur avis.
Sur le fond du débat, je ne nie nullement que la Terre a tendance à se réchauffer depuis un siècle et demi et qu’il est souhaitable de prendre des mesures de précaution contre les émissions de gaz dits à effet de serre, quelle que soit leur responsabilité dans la tendance au réchauffement (le point reste controversé). Ce que je récuse, en revanche, c’est l’affirmation partout répétée, par de nombreux scientifiques comme par la plupart des hommes politiques, des hauts fonctionnaires, des chefs d’entreprise et des journalistes, que « the science is settled ». C’est faux. Beaucoup plus complexe qu’on l’imagine, le système climatique est encore très mal compris. Aucune théorie scientifique n’en rend compte dans sa globalité.
Pour ceux que cela intéresse, je ne peux que renvoyer à l’enquête que j’ai consacrée au sujet : La comédie du climat (Lattès 2015). Cela dit, je ne suis pas obsédé par cette thématique. Ce qui me fascine, ce sont les modes de production et de consolidation des croyances collectives. Je me suis autant intéressé, par exemple, aux racines, à l’installation et à la perpétuation du mythe du cholestérol, auquel j’ai consacré un dossier dans Books, dossier qui a inspiré tout récemment un excellent documentaire diffusé par Arte. Ce qui me fascine, ce sont les processus aboutissant à ce qu’une problématique comme celle du climat génère des Croisés † du genre de Sylvestre Huet.