Un but dans la vie ? Mais pourquoi donc ?
Publié en mai 2024. Par Books.
Un philosophe s’interroge sur le sens de la vie. Vaste programme, inépuisable en fait. Sauf à décider que la question est mal posée ou, plutôt, qu’elle ne se pose pas. C’est ce que fait Michael Hampe, professeur à l’École polytechnique de Zurich, dans un petit livre qui vient de paraître outre-Rhin. « Pourquoi ? Une philosophie de l’absence de buts » (c’est le titre) prend à contre-pied une tradition qui remonte à Aristote. D’après celle-ci, rien en ce monde qui ne porte en soi une potentialité à accomplir, rien qui n’existe donc pour une raison. L’homme n’échappe pas à la règle, bien sûr. Son but : « agir en tant qu’être raisonnable, pensant ou parlant », résume le philosophe Dieter Thomä dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung.
Pour Hampe, cette conception aristotélicienne aurait mené la pensée européenne dans l’impasse. Il recommande pour sa part une vie « libérée » de « l’exigence d’avoir un but, d’être un développement, un épanouissement, une réalisation (de qui ou de quoi ?) ». Le risque de perte de repères, de dépression que pourrait entraîner une telle attitude ? Il l’écarte, en estimant, comme le rapporte Thomä, que « ce sont plutôt ceux qui poursuivent désespérément des objectifs et “orientent leur vie vers l’obtention de biens finis” pour se détourner de leur propre mort qui ont l’air désespérés ».
Le concept clé de Hampe est celui d’« attention », forme d’engagement dépouillé de tout intérêt. On est proche de Bouddha et de Simone Weil. « L’abandon des fins a ainsi le double avantage d’aider, dans la pratique, à sortir de l’engrenage téléologique et d’ouvrir, en théorie, un accès sans préjugés au monde », poursuit Thomä, pour qui l’ouvrage de son confrère « ressemble davantage à une méditation qu’à un traité et est ésotérique dans le meilleur sens du terme, […] Hampe [ayant] en commun avec Musil le grand art de parler d’expériences mystiques et existentielles sans pour autant sacrifier la précision ».