Publié dans le magazine Books n° 9, octobre 2009. Par Rafael Rojas.
La Havane n’est pas une ville, mais plusieurs à la fois. Il y a la vieille Havane créole et coloniale du XIXe siècle, la Havane républicaine des années 1950, celle des cabarets et de la jet-set américaine, qui fascina tant Hemingway ; et puis, il y a la Havane révolutionnaire, capitale monumentale de la modernité socialiste. Depuis quelque temps, les livres se sont multipliés sur l’histoire de la ville et les stratégies urbanistiques dont elle a fait l’objet de la part du régime castriste. Chacun à sa manière, l’architecte Emma Álvarez-Tabío Albo et l’écrivain Antonio José Ponte font ainsi surgir La Havane de ses décombres, une Havane dont la rénovation obéit à un scénario parfaitement politique, imaginé pour assurer au pouvoir le contrôle symbolique du territoire.
Au cours des vingt dernières années, l’histoire, toute l’histoire, s’est abattue telle une tempête sur La Havane. Avec la chute du mur de Berlin et la désintégration de l’Union soviétique, cette capitale de la modernité socialiste, qui misait sur l’urbanisation et l’industrialisation pour larguer, outre l’ignorance et le sous-développement, les rêveries rurales des tropiques et la lascivité des habitants, s’est écroulée à son tour. Une fois achevée l’épopée du développement à la soviétique, La Havane renoua peu à peu avec ses anciennes représentations de jouissance et d’exotisme, de perversion et de décadence. L’État castriste imagina alors, avec sa capacité d’adaptation habituelle, deux nouvelles stratégies pour faire face à cette résurgence de l’ancien régime : le tourisme et la rénovation urbaine.
À partir de 1992, toutes les Havanes que la Révolution s’était proposé de balayer ont resurgi, tels des spectres. Comme l’explique l’architecte cubaine Emma Álvarez-Tabío Albo dans
Invención de La Habana [« L’invention de La Havane »] flottaient dans l’air, pêle-mêle : la ville créole...