Thanatologie comparative
Publié en janvier 2025. Par Books.
Un groupe de chimpanzés du Cameroun contemplent, atterrés et immobiles, le cadavre de leur consœur Dorothy : c’est sur cette image insolite, captée sur une célébrissime photo de 2009, que Susana Monsó ouvre son étude sur la conscience de la mort chez l’animal. Les éthologues ont certes démontré que nous partagions avec certains de nos frères animaux de nombreuses prérogatives, jadis considérées exclusivement humaines, « comme la cognition numérique, la rationalité, la morale, le langage et la culture ». L’exemple des chimpanzés, mais aussi des éléphants, des baleines, des pingouins et d’autres espèces encore, amènent les chercheurs en « thanatologie comparative » à postuler que nous n’aurions pas non plus le monopole du « fardeau de la conscience de notre mortalité ».
Susana Monsó examine à son tour cette possibilité, non pas en éthologue mais en philosophe spécialisée dans « la philosophie de l’esprit animal ». Elle cherche « à apporter des arguments philosophiques et des preuves empiriques confirmant que l’homme est loin d’être le seul animal à posséder une vie mentale », résume Ian Ground dans le Times Literary Supplement. Et son analyse la mène à considérer d’autres questions dans la question : les bêtes auraient-elles un « concept » de la mort, donc de « l’irréversibilité » du phénomène, et par conséquent un concept du temps ? Et comment pourraient-elles « conceptualiser » si elles ne disposaient pas d'un langage intérieur ? Pour autant Susana Monsó ne se limite pas aux spéculations théoriques, et son étude fourmille aussi d’anecdotes et d’exemples – comme celui de l’opossum, qui donne son titre au livre. Face aux prédateurs, ce petit marsupial nord-américain se protège en faisant littéralement le mort : figé en position fœtale, la langue pendant hors de la bouche et le cœur pratiquement à l’arrêt, il laisse en plus s’écouler de lui un liquide infâme qui sent la putréfaction. Or l’opossum applique-t-il le « concept » de mort, ou se contente-t-il d’employer une ruse qui au fil de l’évolution a fait ses preuves ? Réponse résumée par Ian Ground : impossible d’expliquer de tels comportements – chez l’animal comme chez l’homme – « si l’on ne possède pas des concepts, c’est-à-dire des outils mentaux (ou neuronaux) aptes à véhiculer une signification ». D’ailleurs, même si l’opossum était privé du concept de mort, ses prédateurs, eux, doivent bien en disposer puisqu’ils se laissent duper ? L’auteure ne tranche pas formellement, se contentant d’exhorter à poursuivre l’étude. Mais le modeste opossum, avec sa « thanatose » tactique (ou les dauphins et les chiens qui meurent volontairement de désespoir), a d’ores et déjà porté encore un coup sévère à Descartes et sa théorie de « l’animal-machine ».