Sur une servitude volontaire
Publié en avril 2024. Par Books.
Tous les Américains ou presque connaissent les aventures de Huckleberry Finn, héros du roman éponyme pour enfants de Mark Twain, publié en 1885. Le jeune Huck s’enfuit de chez lui pour échapper à un père détestable. Il rencontre Jim, un jeune esclave qui s’est aussi enfui. Huck ayant disparu, Jim est accusé de l’avoir tué. Ils se réfugient en descendant le Mississipi sur un radeau. À ses côtés, Huck abandonne son préjugé racial et tout finit bien.
Percival Everett, un romancier afro-américain maintes fois primé, musicien de jazz et directeur du département de littérature à la Southern California University, dont plusieurs livres ont été traduits en français, détourne le roman de Twain en faisant de Jim, devenu James, le personnage principal. Son propos est d’en finir avec l’image d’Épinal du bon Noir qui vient expliquer à un Blanc naïf qu’il peut lui en remontrer en fait de qualités humaines. Il ne s’agit pas pour autant d’une inversion simpliste du modèle, explique Tyler Harper dans The Atlantic. Tout en revenant sur la condition effarante des esclaves noirs, Everett décrit une personnalité complexe, imaginaire jusqu’à l’absurde. Éminemment cultivé, il a lu Voltaire, dont le fantôme lui rend visite et dont il dépeint le racisme alors même qu’il était abolitionniste. Au fil du roman, « sa rage s’amplifie, son éthique devient impénétrable, y compris à ses propres yeux ». Un personnage paradigmatique du roman est le chauffeur qui charge le charbon de la chaudière d’un bateau à vapeur, un esclave noir qui ne quitte jamais la soute, rivé au service d’un maître dont James découvre qu’il est mort depuis longtemps. « Le fidèle esclave aime sa servitude », écrit Harper. Au lieu de la fin heureuse de rigueur, ce roman picaresque, drôle et méchant, part en vrille et se termine mal.