Suétone à la Maison Blanche
Publié en février 2025. Par Books.
Descriptions d’égocrates désaxés, obsédés de conquête, accapareurs, paranoïaques, affabulateurs, immoraux voire dépravés, brutaux, prêts à mettre le feu au monde pour assouvir leurs appétits… Non, il ne s’agit pas de ceux d’aujourd’hui mais d’autres, bien plus anciens : les douze Césars tels que portraiturés par l’historien latin Suétone et dont vient de paraître en anglais une traduction modernisée par l’historien Tom Holland… Pourtant, entre les hyper-présidents de 2025 et les Césars de Suétone, depuis Jules jusqu’à Domitien, la continuité n’est que trop visible. Comme si la volonté d’acquérir le pouvoir, et les dommages mentaux qu’entraîne implacablement son exercice, répondaient aux mêmes lois psychiques à travers les millénaires.
Ainsi, Jules César maniait déjà les fake news, « altérant, sciemment ou faute de mémoire, la vérité des faits », raconte Suétone ; et il méprisait autant le Sénat de Rome que son lointain épigone celui de Washington. Les successeurs de César s’étaient (presque tous) bâtis des palais phénoménaux (cf. Mar-a-Lago ou Putin-Palace à Guelendjik), et Caligula avait en plus voulu rentabiliser le sien en y intégrant un bordel public et même un casino (un proto-Trump Plaza ?). Pouvoir politique et avidité financière croissent inéluctablement de pair, et sans limite, montre Suétone, qui évoque Tibère « se promenant souvent nu-pieds sur d’énormes monceaux d’or étalés dans un vaste bâtiment, et quelquefois s’y roulant tout entier », façon Picsou. Quant aux anti-César de tout poil, opposants, rivaux ou simples ploutocrates aux fortunes insolentes, ils étaient éliminés, mais dans des conditions tout de même bien pires que les chutes par la fenêtre et autres infortunes réservées aux oligarques d’aujourd’hui. Enfin tous utilisaient leur puissance illimitée pour assouvir impunément et sans limite leurs fantasmes sexuels, occasion pour le ragotier Suétone de décrire avec délectation leurs extravagances. « Il donnait à ses lecteurs d’antan tout ce qu’ils voulaient comme détails sur les préférences impériales, jeunes garçons ou épouses de sénateurs », écrit Roy Gibson dans le Times Literary Supplement.
Mais si la recette a valu à Suétone un succès inter-séculaire, celui-ci n’est du coup pas considéré comme un historien très sérieux, bien qu’en tant que secrétaire de l’empereur Hadrien (en charge des correspondances impériales) il ait eu accès à des sources exceptionnelles. Qui plus est, son récit n’est pas rigoureux et chronologique comme le veulent les règles de l’art, et il n’explore pas la psyché de ses (anti)héros aussi scrupuleusement que ses grands confrères, Plutarque et autres Tite-Live. Enfin le style de Suétone laisse à désirer, juge encore Roy Gibson : usant d’un latin « volontiers lourdingue », il a tendance à s’appesantir dans ses descriptions sinon ses analyses, poussant ses traducteurs à corriger le tir en allégeant le texte ou la phrase partout où c’est possible. Mais dans sa traduction « entièrement rénovée », Tom Holland prend le contre-pied de cette approche : il suit au contraire le rythme « nonchalant » du texte et « donne ainsi tout leur poids aux énormités morales » des Césars, se félicite Roy Gibson. Avis donc aux biographes qui fourbissent dès à présent leurs plumes, et à leurs futurs traducteurs : plus le méga-potentat portraituré manifeste de singularités cocasses ou horrifiantes, plus celles-ci doivent recevoir d’ampleur. Ça promet !