Publié dans le magazine Books n° 79, septembre - octobre 2016. Par Frank Furedi.
L’affaire paraît entendue : Internet entraîne une surcharge d’information, qui menace notre capacité de concentration et nuit à l’accès au savoir. Mais ce lamento est-il vraiment justifié ? Socrate s’inquiétait déjà de l’impact de l’écriture sur la pensée. Et l’avènement de l’imprimerie a provoqué une réaction comparable à celui du smartphone. Ces Cassandre avaient tort. Avons-nous aujourd’hui plus de raisons d’avoir peur ?
Nous voilà entrés dans « l’ère de la distraction », nous dit-on : le rythme frénétique du changement technologique rend difficile, voire impossible, de se concentrer sur des livres ou des textes complexes. Dans les universités, de nombreux enseignants prétendent que l’envahissante habitude de surfer sur Internet a tué le goût des étudiants pour la lecture soutenue et profonde. Nos facultés d’attention sont sans cesse mises au défi par l’irrésistible production et circulation de l’information, répète-t-on aussi. L’« anxiété informationnelle », la « surinformation », est considérée comme une donnée de base de la vie au XXIe siècle.
Depuis la parution en 1989 d’
Information Anxiety, le best-seller signé Richard Wurman (le futur fondateur des célèbres TED talks), le lamento sur les pathologies de la surinformation est un thème récurrent du débat culturel. Nous utilisons souvent la métaphore du flot pour évoquer le torrent d’informations numériques, convaincus que si nous ne sommes pas tous en train de nous noyer, du moins sommes-nous tous submergés. Les entreprises, entend-on volontiers, sont « noyées sous les données »,...