Stauffenberg, ce traître

Aujourd’hui, l’affaire est à peu près entendue, on s’accorde à considérer Claus von Stauffenberg comme l’un des grands héros de la résistance allemande au nazisme. Son attentat contre Hitler, en juillet 1944, et, surtout, son improbable échec avaient, il est vrai, de quoi marquer les esprits : une mallette bourrée d’explosifs qui aurait dû faire des ravages, mais un Führer qui, par un concours stupéfiant de circonstances, sort indemne de la déflagration. 


Dans son livre « L’alibi allemand », la journaliste Ruth Hoffmann ne se contente pas de reconstituer la genèse d’une action qui valut à Stauffenberg et ses complices d’être fusillés, puis à leurs familles d’être implacablement pourchassées. Elle s’intéresse aussi à la suite : comment ces hommes ont-ils été perçus dans l’après-guerre ? Stauffenberg a-t-il tout de suite été salué comme l’un des rares à avoir sauvé l’honneur de son pays ? 


La réponse pourra étonner : à l’instar des autres résistants allemands, ses compatriotes virent d’abord en lui un traître. « Il a fallu attendre un bon moment avant que l’attentat du 20 juillet 1944 – qui donne aujourd’hui lieu à de fiers discours du dimanche – ne soit considéré comme une rébellion légitime contre un régime ignoble », rapporte Ulrich Rüdenauer dans le Tagesspiegel. C’est qu’après 1945, l’épuration ne concerna qu’une petite minorité de nazis : beaucoup continuaient d’occuper « des postes clés dans les tribunaux, en politique et dans les institutions publiques » de l’Allemagne de l’Ouest. Hors de question pour eux de remuer un passé où ils avaient fait si piètre figure. Jusque dans les années 1950, écrit Hoffmann, « à quelques exceptions près, ce ne sont donc pas les persécuteurs et les bourreaux qui étaient au pilori, mais leurs victimes. Tandis que les uns bénéficiaient de pensions, d’une assistance juridique ou d’attestations en leur faveur, les autres continuaient à être exposés à la calomnie – et le gouvernement laissait faire. » L’ouvrage d’Hoffmann montre que même la reconnaissance d’une valeur positive à l’attentat du 20 juillet semble avoir été dictée par de mauvaises raisons. D’abord, on le réduisit à un complot d’officiers conservateurs alors que des sociaux-démocrates avaient été étroitement impliqués dans ses préparatifs. Ensuite et surtout, cette reconnaissance eut moins pour but de réparer une injustice que de dévaloriser les autres actes de résistance. Lesquels avaient un inconvénient majeur : ils étaient, pour un bon nombre, le fait de communistes. 

LE LIVRE
LE LIVRE

Das deutsche Alibi. Mythos “Stauffenberg-Attentat” – wie der 20. Juli 1944 verklärt und politisch instrumentalisiert wird de Ruth Hoffmann, Glodmann Verlag, 2024

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