Publié dans le magazine Books n° 66, juin 2015. Par Mary Beard.
Stoïcien intransigeant, apôtre d’une vie vertueuse et frugale, Sénèque était à la tête de l’une des plus grosses fortunes romaines et resta longtemps le conseiller du sanguinaire Néron. La prose docte et mesurée de ses Lettres forme aussi un contraste saisissant avec le ton furieux qu’il adopte dans ses tragédies. Qui se cache donc derrière le masque de Sénèque : un écrivain surdoué jonglant avec les styles et les identités, ou un hypocrite patenté ?
En l’an 65 ap. J.-C., le vieux philosophe Lucius Annaeus Seneca fut contraint de se suicider sur ordre de Néron – il avait 69 ans. D’abord précepteur de l’empereur, puis son conseiller, il s’était retiré des affaires quand la vraie nature de ce règne était apparue au grand jour. Quelque temps auparavant, il s’était associé d’un peu trop près à un projet manqué de coup d’État (on ne saura jamais quel fut son degré d’implication exact). (1) Probablement ne fut-il pas surpris quand le tribun d’une cohorte prétorienne (2) vint frapper à sa porte.
Ses hommes avaient déjà pris position autour de la maison du philosophe, située dans la proche périphérie de Rome. Ironie du sort, l’officier avait lui aussi trempé dans le complot, mais s’était finalement résolu à exécuter les ordres de l’empereur pour sauver sa peau. Comme le note laconiquement Tacite, « il grossissait le nombre des crimes dont il avait conspiré la vengeance ». (3) Après un bref interrogatoire, on ordonna à Sénèque de mettre fin à ses jours, ce qu’il fit à grand-peine : il se trancha les veines mais, étant donné son â...