Scott Moncrieff, l’homme qui a réécrit Proust
C.K. Scott Moncrieff / Edward Stanley Mercer
Dans les manuscrits de Proust, publiés pour la première fois par les éditions des Saint-Pères, la célèbre madeleine a un temps été une biscotte. En anglais, Charles Scott Moncrieff a conservé la petite madeleine. Le travail du premier traducteur de A la Recherche du temps perdu a été, de l’autre côté de la Manche, presque autant salué que celui de Proust lui-même. Joseph Conrad jugeait sa version supérieure à l’original et Virginia Woolf lui trouvait une « vraie puissance érotique ». Jean Findlay consacre une biographie, Chasing Lost Time, à ce personnage.
Scott Moncrief, prompt à se déprécier, assurait qu’il connaissait « peu de vocabulaire français et aucune grammaire ». Cela ne l’empêche pas de proposer à plusieurs éditeurs de traduire l’œuvre de Proust. A l’époque, elle ne comporte que deux volumes. Il y consacrera finalement dix ans pour obtenir un texte de plus d’1,2 million de mots. Scott Moncrieff travaille, en parallèle de Proust, qui poursuit l’écriture de La Recherche, avec seulement un volume de retard sur lui. Dès qu’il a un moment, entre son travail pour l’armée britannique, ses activités d’espion en Italie et sa riche vie sociale, il gribouille un nouveau passage. Il lit ensuite son travail à haute voix à des auditeurs sélectionnés pour en vérifier la sonorité. Au final, une traduction pas 100% fidèle, mais si belle…
Dans son unique lettre à son traducteur anglais, Proust critique le choix du titre du premier volume. Du côté de chez Swann est devenu « Swann’s Way » sous la plume de Moncrieff. Il lui reproche d’avoir introduit une ambigüité, suggérant que le livre ne décrit pas seulement le milieu de Charles Swann mais aussi les manières du personnage. Proust serait mort en craignant que Moncrieff ne massacre son chef-d’œuvre. Il en a, selon certains, créé un autre.
En savoir plus : Proust, une passion anglaise, Books, mai 2015.