Publié dans le magazine Books n° 43, mai 2013. Par Philip Nobel.
Nous avons une foi absolue dans la compétence des ingénieurs, au point d’être très désemparés face aux défauts régulièrement découverts dans les ponts, digues, avions, centrales nucléaires et autres navettes spatiales. Nous avons tort : outre l’inévitable étourderie des meilleurs spécialistes, les enjeux financiers, politiques ou esthétiques sont tels qu’il est presque miraculeux que quoi que ce soit tienne encore bon.
Quand vous posez le pied sur un pont, tout votre poids est transféré jusqu’au soubassement en contrebas. Pour que la structure tienne, chaque élément du système doit absorber le fardeau, kilo par kilo. Il faut que votre poids – techniquement une « surcharge », c’est-à-dire un ajout temporaire par opposition à la « charge » permanente, celle de la structure elle-même – soit compensé par la résistance dont est doté l’ouvrage, qu’il s’agisse d’une simple poutre, d’une arche, de poutrelles ou d’un pont suspendu… En général, la construction parvient à relever le défi : il est rare qu’une seule personne provoque un effondrement.
Mon professeur à l’école d’architecture, Peter Galdi, aimait évoquer le cas du pont de Brooklyn à Manhattan. À l’époque, l’ouvrage était déjà centenaire, et cela faisait des décennies qu’on en différait la maintenance, bien que tous ses points faibles aient été soigneusement identifiés. Personne, disait le professeur, ne comprenait comment il tenait encore debout. Bien sûr, il y avait les hautes tours, les puissants ancrages, le réseau de câbles, de fils métalliques et les poutrelles qui corrigeaient efficacement...