Publié dans le magazine Books n° 61, janvier 2015. Par Olivier Postel-Vinay.
La philosophe s’était fait sa religion sur Eichmann avant le procès. L’extraordinaire fortune de sa formule, la « banalité du mal », s’explique par le contexte idéologique d’une époque qu’obsédaient l’impersonnalité bureaucratique et le conformisme de la « société de masse ».
Richard Wolin est professeur d’histoire des idées à la City University of New York. Son dernier livre est The Wind from the East. French Intellectuals, the Cultural Revolution and the Legacy of the 1960s (« Le Vent d’est. Les intellectuels français, la Révolution culturelle et l’héritage des années 1960 »), Princeton University Press. Il semble définitivement établi qu’Arendt s’est trompée sur la personnalité d’Eichmann. Comment l’expliquer ?Nous savons en effet maintenant qu’elle s’est totalement trompée. En un sens, l’explication est simple. Dans
Les Origines du totalitarisme, elle employait l’expression « mal radical », empruntée au livre de Kant
La Religion dans les limites de la simple raison, pour caractériser les responsables nazis. Or son mentor, le philosophe allemand Karl Jaspers, a contesté ce concept avec véhémence dans leur correspondance. Jaspers faisait valoir que cela risquait de faire des dirigeants nazis des héros « démoniaques », des surhommes en quelque sorte. Du coup, Arendt a...