Rebelles mais pas trop
Publié en septembre 2024. Par Books.
Wolfram Eilenberger est peut-être aujourd’hui l’historien de la philosophie le plus renommé d’Allemagne. Depuis 2018 et son Temps des magiciens (traduit chez Albin Michel), chacun de ses livres se maintient des semaines entières sur la liste des meilleures ventes. La méthode est toujours à peu près la même : il choisit quatre figures emblématiques pour décrire l’état d’esprit d’une époque. Dans Le Temps des magiciens, consacré à 1919-1929, décennie « miraculeuse », selon lui, du point de vue de la production philosophique, c’étaient Ludwig Wittgenstein, Ernst Cassirer, Walter Benjamin et Martin Heidegger. Dans l’ouvrage suivant, Les Visionnaires (traduit chez Alisio), il s’intéressait à la décennie noire suivant l’accession au pouvoir des nazis (1933-1943), à travers la pensée et la trajectoire de quatre femmes : Simone de Beauvoir, Simone Weil, Ayn Rand et Hannah Arendt. Dans son nouvel opus, il s’attaque à l’après-guerre (1948-1984) et ses quatre figures de proue sont cette fois Theodor Adorno, Susan Sontag, Michel Foucault et Paul Feyerabend.
« Eilenberger associe les citations d’œuvres philosophiques à des passages de journaux intimes et de lettres pour dresser un portrait vivant de l’époque. Il montre également les problèmes auxquels ces quatre personnages furent confrontés – dans la vie comme dans la pensée », résume Steve Ayan dans le magazine Spektrum.
Ce qui les unit tous ? Avoir voulu avant tout « démasquer ou déconstruire », réglant notamment leur compte aux grandes cathédrales conceptuelles élaborées par Hegel, Marx ou Husserl. Il n’est que de voir les titres de certains de leurs ouvrages les plus fameux : Dialectique négative (Adorno), Contre l’interprétation (Sontag) ou encore Contre la contrainte de la méthode (Feyerabend). Cela n’a pas empêché nos quatre mousquetaires de la pensée ultra critique, ainsi que le note plaisamment Ayan, de rechercher les honneurs d’une société dont ils dénonçaient le fonctionnement : « malgré leur scepticisme vis-à-vis de l’État et du capitalisme, ils se sont efforcés de prendre pied dans les arènes académiques et médiatiques ou, dans le cas d’Adorno, de mettre leurs prébendes institutionnelles à l’abri des fantasmes de révolution des étudiants radicaux de 1968. »