La raison mise à mal
Publié dans le magazine Books n° 100, septembre 2019.
« Sans des normes communes nous permettant de déterminer ce qui caractérise ou non une source d’information fiable et une méthode éprouvée de questionnement, nous ne serons pas en mesure de nous mettre d’accord sur les faits, et encore moins les valeurs. Et c’est précisément la situation vers laquelle semblent se diriger les États-Unis », écrit le philosophe Michael Lynch dans son Eloge de la raison. Paru outre-Atlantique en 2012, bien avant la vague des fake news et autres « faits alternatifs » qui ont porté Donald Trump au pouvoir, ce livre peut sembler à bien d’égards prophétique.
Et si la Terre était plate ? Et si Darwin avait tort ? « Peu importe la masse de datas, l’immensité du web ou la liberté d’expression, il n’y a rien de moins facile au XXIe siècle que de déterminer si les gens avancent une idée issue de leurs croyances ou de leurs connaissances, ou si quoi que ce soit, en fait, peut être considéré comme totalement prouvé », souligne Jill Lepore dans The New Yorker. Ce scepticisme aveugle et ses conséquences est au cœur de la réflexion de l’ouvrage de Lynch. « Il insiste sur le fait qu’il est crucial pour la viabilité d’une société démocratique de pouvoir argumenter rationnellement », note le philosophe Diego Machuca dans la revue en ligne Philosophy in Review. Lynch identifie trois sources de scepticisme face à la raison : considérer toute argumentation comme la rationalisation d’une conviction préexistante, tenir la science pour une croyance comme une autre et nier la possibilité de l’objectivité. Elles sont difficiles à contrer car « l’idée que la raison cède toujours devant quelque chose d’irrationnel est puissante, en partie parce qu’elle contient une petite part de vérité et aussi parce qu’elle est libératrice », assure-t-il.
À lire aussi dans Books : L’animal raisonnable, février 2019.