Qui sème le blé récolte la puissance
Publié dans le magazine Books n° 122, novembre-décembre. Par Daniel Immerwahr.
Cultiver le blé et disposer des moyens de l’exporter – rails, routes et ports –, c’est dominer le monde. Telle est la thèse d’un historien américain analysant l’influence de cette céréale sur l’émergence des États-Unis comme première puissance mondiale, au nez et à la barbe de la Russie qui, au milieu du XIXe siècle, était pourtant la première exportatrice de blé. Un âge d’or avec lequel l’actuel occupant du Kremlin entend bien renouer.
«Cela faisait longtemps que je ne m’étais pas autant senti comme chez moi », écrit Mark Twain en arrivant à Odessa en 1867. Le joyau de la Nouvelle-Russie semble pourtant à mille lieues de l’atmosphère du port fluvial d’où vient Mark Twain. Mais la ressemblance d’Odessa avec Hannibal, la ville du Missouri où il a grandi, est patente. Toutes deux sont des villes-champignons avec des bâtiments de pierre calcaire ordonnés géométriquement au bord de l’eau. Devant les larges rues, les maisons basses dépourvues d’ornements et cette « allure neuve familière », l’écrivain américain se trouve en terrain connu. Et, lorsque Twain est accueilli par un « étouffant nuage de poussière », il y voit « un salut de [sa] chère terre natale ».
Cette ressemblance n’est pas fortuite : les deux villes sont l’une et l’autre des ports destinés au transport du blé. Catherine II a fondé Odessa sur la mer Noire en 1794 pour assurer sa mainmise sur le commerce des céréales, et Hannibal a surgi sur les...