Publié dans le magazine Books n° 22, mai 2011. Par Keith Gessen.
À quoi peut servir d’imaginer des cauchemars futuristes, dans la lignée de Huxley et d’Orwell, en un temps où les dystopies semblent se réaliser ? Où il n’est plus besoin d’un Big Brother pour connaître les pensées de chacun, car un réseau social suffit ? Une poignée d’écrivains rappellent pourtant qu’il faut imaginer le pire pour comprendre le présent.
À peu près à la moitié de la seconde présidence Poutine, un curieux phénomène a commencé de se produire chez les romanciers russes : tous ont entrepris d’écrire des dystopies, ces récits d’anticipation qui imaginent un avenir de cauchemar. En 2006, Vladimir Sorokine, ce légendaire écrivain postmoderne, publiait
Journée d’un opritchnik, une satire des services secrets, dans la plus pure veine dystopique (1) ; la même année, la romancière Olga Slavnikova remportait un prestigieux prix littéraire avec 2017 (2) ; et Dimitri Bykov faisait paraître
ZhD, décrivant un futur où la Russie est en guerre contre une force armée – les ZhD – qui est train de l’emporter grâce à la découverte du « phlogiston », une substance remarquable qui remplace le pétrole comme énergie de prédilection de l’Occident et, ce faisant, ruine la Russie.
Cet étrange jaillissement littéraire tenait, je crois, à la stagnation politique des années Poutine. Personne ne doutait que le président russe fût en train de rétablir un certain autoritarisme ; mais sous quelle forme exactement, jusqu’à quel point et avec quel degré de brutalité ? C’était difficile à dire. Le...