Quand l’école « rendait les enfants malades »


Avec le déconfinement, les écoles rouvrent peu à peu. Mais beaucoup de parents et d’enseignants restent dubitatifs, voire inquiets : et si les classes devenaient un nouveau vecteur de la propagation du virus ?

Dans l’entre-deux-guerres, l’opinion publique n’avait pas de doutes. Les écoles, parisiennes notamment, étaient tout bonnement accusées de rendre les enfants malades. Dans son édition du 15 décembre 1928, le quotidien Paris-Soir publie un entretien alarmiste avec le docteur Dufestel, médecin inspecteur des écoles de Paris, qui dénonce le surmenage et les conditions d’hygiène auxquels sont soumis les enfants. L’article paraît sous ce titre on ne peut plus clair : « Sur 150 000 écoliers parisiens, 100 000 sont malades ou menacent de l’être ».


Dans cette question qui touche à l’avenir même de la race, nous dit le président, le docteur Dufestel, le « grand-papa de Belleville », comme l’appellent des Lilas aux Buttes Chaumont non seulement les écoliers, mais les parents eux-mêmes qu’il soigna jadis, dans cette question tout est lié. L’école, telle qu’on la réalise actuellement en France est une grande absurdité. L’éleveur ne demande pas au jeune poulain l’effort qu’il exigera d’un cheval de cinq ans, et l’on demande à l’écolier plus d’heures de travail que la loi n’en impose à l’adulte.

En aggravant ce surmenage par les mauvaises conditions d’hygiène dans lesquelles il est réalisé. L’école est, en effet, pour l’être fragile et grand consommateur d’oxygène qu’est l’enfant, un enfer à petites doses.

De six à douze ans, nous dit le docteur Dufestel, l’enfant a besoin d’air et d’exercice. Or, de 8h30 à 18 heures, on l’enferme dans des locaux mal aérés, mal éclairés, chauffés insuffisamment. À peine lui donne-t-on, trois fois dans la journée, une détente qui n’excède guère un quart-d’heure. Ce temps est trop minime, les cours sont trop étroites pour que les enfants jouent et compensent ainsi par l’exercice physique leur fatigue intellectuelle ; ils errent, ils se bousculent, ils ne jouent pas. L’enfant, pour se bien porter, doit jouer le plus possible.

Mais nos programmes d’enseignement n’admettent pas ce principe ; pour lui, l’enfant doit être rivé le plus possible à sa table. Et à quelle table : — Ce n’est pas une table, poursuit l’éminent médecin ; c’est un instrument de torture. Les pupitres qu’on emploie dans la plupart de nos écoles sont si mal adaptés à la taille des élèves que les enfants, ces êtres sans muscles, sans résistance, sont amenés nécessairement à se coucher sur la table ou à s’accoutumer à des attitudes vicieuses, qui lui dévient la colonne vertébrale, lui déforment les épaules et, en tout cas l’amènent à ne plus savoir respirer. Là est le grand mal : l’écolier ne respire pas.

Tous les médecins scolaires signalent ce fait lamentable, qui prédispose à la scoliose et à la tuberculose de pauvres petits être déjà affaiblis par l’atmosphère terrible et la vie néfaste des villes. Si l’on veut préparer des générations solides, il faut apprendre aux enfants à respirer et leur en donner le moyen. Des chiffres effrayants sont là pour nous avertir du danger. Dans les écoles de Paris, on peut évaluer à soixante-dix pour cent le nombre d’enfants chétifs et malingres, dont quinze sont nettement malades et les autres sur la mauvaise pente. Or, la population scolaire de Paris étant de 150 000 garçons et fillettes, c’est plus de cent mille enfants qui sont menacés ou atteints.

L’instruction obligatoire, telle qu’on la pratique, est un lent suicide de la race.

R. Archambault.

 

LE LIVRE
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Paris-Soir de Eugène Merle, 1923-1943

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