Quand chacun sera l’infirmier de son prochain
Publié dans le magazine Books n° 121, septembre-octobre 2022. Par Thomas W. Laqueur.
L’idée d’indemniser les victimes de stress post-traumatique remonte aux accidents ferroviaires de l’Angleterre du XIXe siècle. Mais les motivations des plaignants ont longtemps été jugées douteuses. Une révolution morale s’est produite vers la fin du XXe siècle, induisant au contraire une valorisation généralisée des notions de traumatisme, de stress post-traumatique et de victime. Paradoxalement, les dilemmes moraux accompagnant cette révolution plongent leurs racines dans le siècle des Lumières.
En japonais classique, le terme « traumatisme » s’écrit, me dit-on, en combinant deux caractères chinois signifiant respectivement « externe » et « blessure ». Déjà, en grec ancien, « blessure » se disait τραυμα, « trauma ». Ce n’est pourtant pas à cette signification que le mot doit aujourd’hui sa popularité – employé moins de 300 fois dans The New York Times entre 1851 et 1960, il y est apparu à plus de 11 000 reprises de 1960 à 2010.
Pareille explosion ne tient pas à un regain d’intérêt pour les blessures, mais à l’évolution de la notion à partir de la fin du XIXe siècle, lorsque le caractère clairement extérieur du traumatisme commence à laisser place à l’intériorité. Il devient une blessure psychique, une « épine fichée dans l’âme », selon l’expression du grand psychologue américain William James, une atteinte non du corps mais de l’esprit, causée par une agression violente ou par une expérience indicible, insoutenable. Au cours du XIX...