Le pronom manquant
Publié le 2 octobre 2020. Par Amandine Meunier.
Après Air Canada et Easy Jet, Japan Airlines bannit désormais l’expression « ladies and gentlemen » de sa communication en langue anglaise. Ne pas présupposer le genre de son interlocuteur est aujourd’hui une marque de respect vis-à-vis notamment des personnes transexuelles et non-binaires. Cela passe par une reformulation de certaines expressions, mais aussi l’utilisation d’un pronom neutre. L’anglais, comme le français, ne dispose pas d’un pronom adéquat à la troisième personne du singulier. La recherche de ce petit mot manquant est pourtant une quête ancienne, rappelle le professeur d’anglais et de linguistique, Dennis Baron dans What’s Your Pronoun ? Beyond He and She.
Hiérarchie des genres
Les premières grammaires anglaises ont été calquées sur le latin, reprenant sa hiérarchie des genres : le masculin l’emporte sur le féminin qui lui-même vaut mieux que le neutre. Mais l’utilisation du masculin par défaut, le « he » universel n’a jamais totalement convaincu, affirme Baron. Certains grammairiens le considéraient comme un dévoiement. Et surtout, il a été régulièrement dénoncé comme un instrument au service du patriarcat. Le « he » des textes de lois a ainsi tendance à désigner les hommes et les femmes quand il s’agit de charges et devoirs, mais uniquement les hommes quand il donne des droits. En 1867, Benjamin Disraeli, alors Chancelier de l’Échiquier, refuse ainsi le droit de vote aux femmes sous prétexte que le « he » de la loi est masculin ; la même année, un tribunal de Portsmouth condamne la propriétaire d’une taverne parce que dans le texte qui l’intéresse « he » signifie aussi « she ». Avec le Dictionnary Act en 1871 et l’Interpretation Act en 1889, les parlements américains et britanniques gravent même ce fait dans la loi : dans les textes légaux le « he » a valeur universelle sauf s’il est possible de déduire du contexte le contraire.
Deux cent pronoms
Pourtant depuis 1373, linguistes et activistes, mais aussi avocats, poètes, journalistes, agriculteurs, prêtres, agents d’assurance… ont planché sur ce problème. Baron relève près de 200 propositions différentes, dont la moitié ont été faites avant 1930 : « e », « thon », « le », « se », « hi », « unus », « ip », « zhye »… Aucune n’a pris. Elles ont pour défaut d’arrêter le lecteur ou l’interlocuteur. C’est parfois d’ailleurs l’intention de leurs inventeurs, soucieux d’attirer l’attention sur le genre en tant que construction sociale. Mais l’intérêt même d’un pronom est sa discrétion, relève Baron. Le professeur préconise le retour au « they ». Aujourd’hui employé à la troisième personne du pluriel, il était à l’origine aussi utilisé au singulier.
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