À quand la prochaine crise financière ?

Au-delà de la bulle engendrée par les produits dérivés adossés à des prêts immobiliers à risque, le problème à l’origine de la crise de 2008 était la fragilité des banques, des deux côtés de l’Atlantique. Seule la machine de guerre déployée par la Fed a permis d’éviter une nouvelle Grande Dépression.

Le 15 septembre 2008, la chute de la banque d’investissement Lehman Brothers, lâchée par le gouvernement américain, précipitait dramatiquement ce que Ben Bernanke, économiste, historien de l’économie et président de la ­Réserve fédérale des États-Unis (Fed), abandonnant le langage mesuré dont il était coutumier, appellera peu après « la pire crise financière de l’histoire mondiale ». Contrairement au krach de 1929, qui a conduit à la fameuse Grande Dépression des années 1930, la crise de 2008 a pu être rapidement jugulée. Mais, par la synchronie de son déroulement, elle était effectivement inédite : jamais autant de très grosses banques dans le monde entier n’avaient été simultanément aussi proches de la faillite. Dix ans après, on ne peut que constater l’impact considérable qu’elle a eu : la récession de longue durée qu’elle a engendrée, ses conséquences sur les finances publiques de nombreux pays, les retombées économiques et politiques de la manière dont le pire a été évité : pour qu’elles n’entraînent pas l’économie mondiale entière dans leur dégringolade, les grandes banques ont été sauvées, mais à coups de milliers de milliards de fonds publics et sans que les banquiers soient inquiétés ni obligés de rendre des comptes. En dix ans, plusieurs dizaines de livres ont été publiés sur la crise de 2008, la crise des subprimes qui l’a déclenchée et celle de l’euro qui l’a suivie. Ils ont été écrits par des journalistes spécialisés (1), des économistes (Joseph Stiglitz, Paul Krugman, Alan Blinder, Barry Eichengreen), ainsi que certains protagonistes des événements : Ben Bernanke, les ­anciens secrétaires américains au Trésor Henry Paulson et Timothy Geithner ou encore Mervyn King, gouverneur de la Banque d’Angleterre durant toute la période concernée (2). Avec Crashed, paru à l’occasion du dixième anniversaire des événements de l’automne 2008, l’historien britannique Adam Tooze livre, sinon l’histoire « définitive », en tout cas la meilleure histoire à ce jour de la crise financière et des efforts accomplis pour l’enrayer. Adam Tooze s’était déjà fait remarquer par deux gros ­ouvrages, le premier sur l’économie du IIIe Reich et les aspects économiques de la ­Seconde Guerre mondiale (Le ­Salaire de la destruction), le second sur les ­efforts infruc­tueux des États-Unis pour recons­truire un ordre politico-économique international après la Première Guerre mondiale (Le Déluge). Dans les deux cas, on avait souligné combien ses travaux renouvelaient en profondeur notre connaissance de ces sujets. On peut en dire autant de son dernier livre. ­Fondé sur un impressionnant travail de recherche, Crashed n’est pas seulement la chronique la plus complète, fouillée, claire et captivante des dix dernières années de l’histoire économique et finan­cière mondiale, un récit magistralement mené, riche de données inédites et d’anecdotes savoureuses. Le livre jette aussi un éclairage nouveau sur les origines de la crise, sa nature, les mécanismes de son développement et les moyens qui ont été employés pour y mettre fin.   Une vue classique de la crise de 2008 (celle d’Alan Blinder dans After The Music Stopped, par exemple) consiste à la présenter comme une crise de l’immobilier aux États-Unis qui, par l’intermédiaire des produits financiers « toxiques » construits à l’aide de crédits hypothécaires, se serait propagée au reste du monde, à commencer par l’Europe. ­Tooze conteste cette théorie. Certes, le point de départ de la crise était bien la bulle de l’immobilier américain, plus particulièrement l’écroulement de la constellation de produits dérivés douteux comme les MBS (mortgage-backed securities) et les CDS (credit ­default swaps), utilisés pour des opérations de plus en plus sophistiquées de titrisation, c’est-à-dire de transformation de créances en titres négociables. Officiellement conçus pour disperser les risques, notamment ceux qui sont liés aux prêts accordés aux débiteurs les moins solvables (les subprimes), mais ayant en réalité pour principal effet de les dissimuler, ces instruments – en raison des importants retours sur investissement qu’ils permettaient – furent rapidement employés à grande échelle par les orga­nismes de refinancement immobilier Fannie Mae et Freddie Mac, par les grandes banques d’affaires (Goldman Sachs, Morgan Stanley, Merrill Lynch) et les établissements du système bancaire parallèle, mais aussi par les divisions « investissement » de certaines banques commerciales. Cela avec la complicité des agences de notation, plus particulièrement Moody’s et Standard & Poor’s, qui, rétribuées par les banques, tendaient à surévaluer la qualité des titres émis par celles-ci. Un fait dont les employés de ces agences étaient bien conscients : « J’espère qu’on sera tous riches et à la retraite quand ce château de cartes s’effondrera », confiait l’un d’eux à un collègue dans un message électronique qui a été conservé. Par le passé, d’autres bulles spéculatives – la bulle Internet de la fin des années 1990, par exemple – avaient pourtant éclaté sans provoquer de crise mondiale. C’est qu’en 2008, montre ­Tooze, le problème fondamental n’était pas du côté des actifs des banques (la mauvaise qualité de leurs investissements), mais de leur passif, la fragilité de leurs sources de financement. S’alimentant au jour le jour sur les marchés finan­ciers de prêt à court terme, emprun­tant dans des proportions excé­dant de beaucoup le montant de leur capital, les banques étaient à la merci d’un taris­sement du crédit. Lorsque, en raison de la perte de confiance dans la valeur de contrepartie des produits dérivés, le flux des prêts interbancaires s’est brutalement interrompu, un grand nombre d’entre elles se sont retrouvées sans ressources. Contrairement aux « pani­ques bancaires » classiques, la crise de 2008 n’était pas le résultat d’un retrait massif de dépôts, mais de l’arrêt de la machine du crédit. Parler de « propagation » de la crise à l’Europe est également erroné. Ayant opté pour le même modèle économique que leurs homologues américaines, les grandes banques européennes (Barclays, Lloyds, BNP Paribas, Deutsche Bank) étaient impliquées dès le début de l’aventure. Elles avaient en effet massivement investi sur le marché hypothécaire américain, sur lequel elles s’exposaient considérablement : « En 2006, à l’apogée du boom […] un tiers des nouveaux MBS privés étaient garantis par des banques britanniques ou européennes. Le segment de la chaîne de titrisation où les banques européennes jouaient un rôle de la plus haute impor­tance était aussi le maillon faible de cette chaîne. » En termes quantitatifs, ces investissements étaient démesurés : en 2008, le passif des grandes banques de la plupart des pays de l’Union euro­péenne représentait de 300 à 500 % du PIB de leur pays de ­domiciliation (700 % pour l’Irlande).   Comment les Européens, dont l’excédent des comptes courants avec les États-Unis était très modeste par rapport à celui de la Chine, ont-ils fait pour acquérir une telle proportion de la dette privée américaine ? Tout simplement en empruntant des dollars sur le marché américain : « C’était toute la beauté de ce modèle : on empruntait des dollars à Wall Street pour financer un portefeuille d’hypothèques aux quatre coins des États-Unis. » Les observations d’Adam Tooze ­rejoignent parfaitement le diagnostic posé par Tamim Bayoumi dans son ­ouvrage Unfinished Business, paru très peu de temps avant Crashed. Dans ce livre, le haut fonctionnaire du FMI démontre en effet que la crise de 2008 était en son cœur une crise du système financier transatlantique ; qu’elle trouve une de ses origines dans la possibilité accordée aux banques par les accords du Comité de Bâle sur le contrôle bancaire du début des années 2000 (accords de Bâle 2) d’utiliser pour leurs opérations de prêt des modèles de risque définis par elles-mêmes ; et que l’Europe était particulièrement vulnérable du fait des faiblesses structurelles de l’euro, mais aussi de ce que les banques concernées jouaient un rôle central dans les ­économies des différents pays européens, et que leurs fonds propres étaient très faibles au regard de leurs ­investissements. Crashed apporte aussi du nouveau au sujet des mesures prises pour désamorcer la crise dans les mois qui ont précédé et suivi la faillite de Lehman Brothers. Comme plusieurs de ses prédécesseurs, Adam Tooze décrit, mais avec plus de détails, les différentes opérations de sauvetage auxquelles les auto­rités américaines et européennes se sont livrées : la quasi-nationalisation de Fannie Mae et de Freddie Mac, la prise de participation de la Fed dans le géant des assurances AIG, la nationalisation partielle de la Commerzbank en Allemagne, du groupe Lloyds et de la Royal Bank of Scotland (RBS) en Grande-Bretagne, tous les plans de secours mis en place des deux côtés de l’Atlantique sous forme de prêts, de prises de participation, de garanties et de rachats de titres avec création de monnaie dans le cadre de ce qu’on ­appelle des opérations ­d’assouplissement quantitatif ­(quantitative easing). L’historien sort ici de l’ombre où elle était longtemps restée confinée une opération d’envergure titanesque lancée par la Fed pour réinjecter des liquidités sur le marché asséché. Elle était fondée sur la résurrection du mécanisme des « lignes de swap » (crédits réciproques), une formule d’échanges de devises utilisée dans les années 1960 pour gérer le système de parités fixes mis en place par les accords de Bretton Woods. Au total, des milliers de milliards de dollars ont été prêtés par la Fed par cet intermédiaire aux banques centrales du monde entier (à l’exception notable de celles de la Chine, de l’Inde et de la Russie), qui les prêtaient à leur tour aux banques de leur pays. Ce programme, qui n’était pas secret, n’a cependant ­jamais fait l’objet d’aucune publicité, et il a fallu une ­action en justice engagée par le groupe de presse Bloomberg pour que la Fed, qui ne souhaitait pas le rendre public pour éviter de créer la ­panique en trahissant les ­besoins de liquidités de certaines banques, ­accepte d’en divul­guer les ­archives. ­Parmi les premiers bénéficiaires, directs ou indi­rects, des interventions de la Fed – assouplissement quantitatif, lignes de swap et plusieurs autres mécanismes – figuraient de nombreuses grandes banques européennes, notamment RBS, HBOS, Barclays, Deutsche Bank, BNP Paribas, Crédit Suisse, Société générale, Dexia. « Les programmes de la Fed, souligne ­Tooze, ont été décisifs car ils assuraient aux principaux acteurs du système mondial – les banques centrales et les grandes banques multinationales – que, si les finan­cements privés venaient à manquer de façon inopinée, un acteur du système pouvait prendre en charge les déséquilibres marginaux grâce à un stock illimité de liquidités en dollars. » En les mettant en œuvre, la Fed est devenue le prêteur en dernier ressort à l’échelle mondiale, et ses interventions massives ont réaffirmé le rôle du dollar comme devise de réserve dans le monde. Le rôle des autorités américaines dans la résolution de la crise et de ses suites ne s’est pas ­limité aux inter­ventions volontaristes de la Réserve fédérale. Dans les pages qu’il consacre à la longue, complexe et ­pénible crise de l’euro, Adam Tooze met en lumière les vigoureuses pressions exercées par ­Barack Obama et son secré­taire au Trésor, Timothy Geithner, sur Angela Merkel et son ministre des Finances, Wolfgang Schäuble, ainsi que le président de la Banque centrale euro­péenne (BCE), Jean-Claude Trichet, français de nationalité mais soucieux de se montrer, a-t-on dit, « plus allemand que les Allemands ». Elles visaient à les convaincre de la nécessité d’autoriser la BCE à sortir de son mandat étroitement défini pour éviter à la Grèce un défaut sur sa dette souveraine, aux retombées économiques et politiques imprévisibles. Réunions du Conseil européen, de l’Eurogroupe et du G20 : avec une grande finesse d’analyse politique, Tooze reconstitue le sinueux et laborieux parcours qui a conduit, non sans mal, à un dénouement de cette crise secondaire. Une crise de la dette publique qu’on peut attribuer à la combinaison de plusieurs facteurs (l’architecture déficiente de l’euro, les faiblesses structurelles des économies de certains pays d’Europe du Sud, l’attachement inflexible de l’Allemagne à la rigueur budgétaire et le poids de la réunification du pays sur ses finances publiques), mais qui se situe aussi dans le prolongement direct de la crise de 2008, le fil conducteur entre les deux étant « la fragilité des bilans bancaires en Europe ».  

La crise financière : un ennemi qu'il faut frapper vite et fort ?

Un des moments forts dans le processus de résolution a été la ­fameuse déclaration du nouveau président de la BCE, Mario Draghi, initialement favo­rable à la ligne dure et à la politique d’austérité préconisées par l’Allemagne, mais qui finira par affirmer en conclusion d’un discours : « La BCE est prête à tout faire pour préserver l’euro, quoi qu’il en coûte. » « Rétrospectivement, observe Tooze, cette déclaration a été considérée comme le tournant de la crise. » De fait, les marchés, qui étaient agités, se sont calmés. Mais le propos était impro­visé et, au moment où il prononçait ces mots, Draghi n’avait pas d’idée claire sur la manière de concrétiser l’engagement qu’il prenait. Ce n’est qu’au terme d’âpres discussions que la BCE, avec la création d’un instrument appelé « opérations monétaires sur titres » (OMT), sera autorisée à jouer le rôle de prêteur en dernier ressort, dans des conditions il est vrai très restrictives et sous réserve d’application de programmes d’austérité par les pays concernés. Dans l’ensemble, les autorités américaines apparaissent avoir répondu plus rapidement et plus efficacement que les Européens aux troubles financiers de 2008 et des années qui ont suivi. Parce que les États-Unis sont un seul pays, et que la Fed dispose de moyens d’action et d’un large mandat dont la BCE ne bénéficie pas, dira-t-on, mais aussi, a suggéré Tooze en commentant son livre, parce que les responsables américains, marqués par la guerre du Vietnam et celle du Golfe, éduqués, pour certains, dans la lecture de Clausewitz, ont abordé la crise dans un esprit guerrier, comme un ennemi contre lequel il convenait de mobiliser toutes les forces, pour pouvoir frapper vite et fort. Historien, Adam Tooze fait remonter les origines de la crise au-delà de la période de croissance sans inflation (dite de « grande modération ») des années 1990, au-delà même de la phase de déréglementation libérale des années 1980. Il vise l’effondrement, dans les années 1970, du système de Bretton Woods mis en place dans l’immédiat après-guerre, à la suite de l’abandon par le gouvernement de Richard Nixon de la convertibilité en or du dollar, qui établissait un régime de changes flottants. Tooze rappelle à cet égard que, peu avant la réunion du G20 de mars 2009, la Chine, pour stabiliser le système financier et monétaire international, avança l’idée d’un « second Bretton Woods ». Contrairement au premier, qui faisait du dollar l’actif de réserve à l’échelle mondiale, il aurait été conçu dans l’esprit de la proposition de John Maynard Keynes de créer une monnaie internationale (qu’il appelait le « bancor »). En conformité avec les recommandations du Prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz, les Chinois suggéraient que le droit de tirage spécial (DTS) du Fonds moné­taire international joue ce rôle. L’idée ne fut pas retenue, et la proposition ne figura pas à l’ordre du jour de la réunion du G20. De longs passages de Crashed sont consacrés aux répercussions, souvent négligées, de la crise sur les économies fragiles des pays d’Europe de l’Est et à la façon dont elle a été perçue et vécue en Russie. Adam Tooze met aussi en lumière les spectaculaires mesures de relance prises par la Chine pour atténuer les effets, sur son économie, de la baisse de ses exportations consécutive à la contraction de l’activité dans le reste du monde : un plan d’une ampleur impres­sionnante « très efficace parce qu’[il] associait des dépenses publiques colossales à un assou­plissement spectaculaire de la politique monétaire ». En 2009, des mesures combinées élèveront les interventions à un montant total représentant 19,3 % du PIB chinois. « Associées à l’injection colossale de liquidités de la Fed américaine, observe Tooze, les relances budgétaire et financière chinoises ont été la principale force qui a contrecarré la crise mondiale. »  

Comme s'il ne s'était rien passé en 2008

Quelles conclusions tirer de cette saga politico-financière ? L’une d’elles, formulée d’emblée par Tooze dans son introduction, ne sera pas partagée par tous les économistes. Elle se situe sur le plan théorique. Au cœur de l’économie mondiale se trouve aujour­d’hui un gigantesque système de bilans bancaires interconnectés à l’échelle planétaire. Pour cette raison, le cadre de l’analyse macroéconomique classique, fondé sur le concept d’économies natio­nales descriptibles en termes de PIB, de balance commerciale et de balance des paiements – celui qu’utilise par exemple le chroniqueur économique du Financial Times Martin Wolf dans The Shifts and the Shocks –, s’il continue à éclairer l’arrière-plan général de phénomènes comme la crise de 2008, ne fournit plus les outils permettant d’en comprendre les ­mécanismes. La deuxième conclusion concerne la question que tout le monde se pose : quand la prochaine crise économique et financière éclatera-t-elle ? Sans y répondre, ne se sentant pas prophète, Adam Tooze donne, dans les dernières pages de son livre, des indications sur la forme qu’elle pourrait prendre et l’endroit d’où elle pourrait partir. Contrairement à ce que l’on dit parfois, fait-il ironiquement remarquer, il n’est pas vrai que les économistes n’avaient pas prévu la crise de 2008. Certains d’entre eux l’avaient annoncée. Simplement, ce n’était pas la bonne. Ce qu’ils envisageaient était une conséquence directe du déséquilibre de la balance des échanges entre les États-Unis et la Chine : un ­effondrement du dollar sous l’effet d’une vente massive de bons du Trésor par la Chine, qui détient une part énorme de la dette publique américaine. Cela ne s’est pas produit. Mais les conditions d’une crise d’origine « transpacifique » n’ont pas disparu. Avec l’intégration commerciale et financière de plus en plus forte de la Chine dans l’économie mondiale centrée sur le dollar, elles se sont même renforcées. L’essor du secteur privé en Chine et les liens de plus en plus étroits des investisseurs chinois avec le marché international des capitaux font que, si une crise éclate entre l’Asie et les États-Unis, ce sera sur le modèle de la crise transatlantique de 2008. En 2015-2016, remarque ­Tooze, avec la réces­sion des pays ­émergents, l’économie mondiale est passée de justesse à côté d’une ­troisième phase de la crise, après celle de 2008 et celle de l’euro. Une des raisons pour lesquelles nous y avons échappé est que, pour enrayer la fuite massive de devises qui frappait la Chine et stabiliser le yuan, la Banque populaire de Chine (BPC) a pu compter sur la coopération de la Fed, qui a accepté de ne pas relever ses taux d’intérêt. Mais sera-ce toujours le cas ? Les facteurs structurels à l’origine des vagues de spéculation qui ont déclenché la crise de 2008 sont par ailleurs toujours présents. Des mesures ont été prises pour contraindre les banques à se recapitaliser, à mieux séparer leurs activités commerciales et d’investissement et à calculer plus rigoureusement les risques auxquelles elles s’exposent. Mais, aux États-Unis, la loi Dodd-Frank qui les contient, adoptée en 2010, vient d’être assouplie. Et, en Europe, les dispositions équivalentes sont moins contraignantes. En outre, le dispositif de ­bonus et de stock-options qui encourageait les prises de risque déraisonnables est encore en place, comme si rien ne s’était passé en 2008. Une interprétation courante de la crise financière et de ses suites est bien résumée dans le titre d’un des ouvrages qui lui ont été consacrés : The System Worked (« Le système a fonctionné »), de ­Daniel Drezner. Ce n’est pas ­ainsi qu’Adam Tooze voit la chose. À ses yeux, la crise a été résolue non par les vertus du système mais grâce aux déci­sions énergiques prises dans un esprit keynésien par une poignée d’hommes derrière lesquels veillait un ange gardien, pour utiliser l’image d’un employé de la Fed. Mais cet ange ne sera peut-être pas toujours là, et le système, lui, n’a pas fondamentalement changé.   — Michel André, philosophe de formation, a travaillé sur la politique de recherche et de culture scientifique au niveau international. Né et vivant en Belgique, il a publié Le Cinquantième Parallèle. Petit essai sur les choses de l’esprit (L’Harmattan, 2008). — Cet article a été écrit pour Books.

Notes

1. Par exemple Michael Lewis, Andrew Ross Sorkin (The New York Times), Neil Irwin (The Washington Post), Roger Lowenstein (The Wall Street Journal), John Cassidy (The New Yorker), Gillian Tett et Martin Wolf (Financial Times).

2. En français, les ouvrages les plus synthétiques sont L’Implosion et La Crise, de Paul Jorion (Fayard, 2008), La Crise, et après ?, de Jacques Attali (Le Livre de Poche, 2009), et La Crise. Les voies de sortie, de Michel Aglietta (Michalon, 2010).

Pour aller plus loin

LE LIVRE
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Crashed. Comment une décennie de crise financière a changé le monde de Adam Tooze, Les Belles Lettres, 2018

ARTICLE ISSU DU N°94

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